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Cependant, ce fut avec solennité qu’elle annonça :

— Ma chère Huguette, nous avons, votre père et moi, une importante communication à vous adresser.

La jeune fille fronça un peu ses fins sourcils. Ce préambule pompeux l’incitait de façon confuse à redouter qu’on l’eût mandée pour lui transmettre la demande de René Lavardens, — demande que son attitude hostile empêchait depuis longtemps de se formuler, et elle se tenait sur la défensive.

— Qu’est-ce que c’est ? dit-elle simplement.

Et elle s’assit, paisible, indifférente en apparence.

Mme d’Aureilhan continuait, d’un timbre velouté :

— Ce n’est rien que de très heureux, ma chère Huguette, une immense fortune qui vous tombe du ciel. Notre digne ami, M. Gontaud, nous fait le grand honneur de solliciter votre main… Jamais je n’aurais osé espérer pour vous un aussi brillant avenir.

Huguette resta bouche bée, littéralement confondue. Au bout d’une seconde, comme quelqu’un qui n’en croit pas ses oreilles, elle répéta :

M. Gontaud ?…

Puis, sa gaieté l’emportant, son irrépressible sens comique surnageant au-dessus de la première stupeur, elle pouffa, dans un rire perlé qui ne finissait plus :

— Si je m’attendais à celle-là, par exemple ! Ah ! elle est bien bonne !

Elle se roulait, divertie follement par l’idée saugrenue de son vieil ami.

Ainsi, elle était si réjouissante à voir et s’affirmait tellement inaccessible à toute tentation cupide, que M. d’Aureilhan ne put réprimer un sourire.

Stéphanie pinçait les lèvres :

— Votre hilarité est déplacée, Huguette. Il n’y a pas de quoi se moquer. Outre qu’un sentiment sincère est toujours respectable, la proposition de M. Gontaud n’est pas de celle que l’on puisse rejeter à la légère. Comprenez-le, elle mérite toute votre attention.

Huguette reprenait son sérieux. À la réflexions, une gêne étrange lui venait un mélange de honte et de tristesse de ce que l’excellent homme eût pu se méprendre aux formes extérieures de son affection pour lui. Avec une générosité délicate, elle craignait maintenant que la faute n’en fût à elle, à la grâce trop caressante des manifestations qu’elle lui avait innocemment prodiguées, et elle souffrait de la déception cruelle dont elle allait être la cause.

Ce fut d’un accent de fermeté grave qu’elle répondit :

— Vous avez raison, ma mère. Aussi bien, je ne me moque point. Seule, l’idée d’un mariage à ce point disproportionné m’a paru bizarre, de prime abord… J’aime beaucoup M. Gontaud, qui est le plus noble cœur que je connaisse… Je l’estime infiniment…

— Alors ? fit Mme d’Aureilhan rayonnante.

— Alors, je vous prie de vouloir bien le lui dire, acheva tranquillement Huguette, en l’assurant de tous mes regrets… Je suis désolée qu’il se soit fourvoyé de la sorte…

Stéphanie bondissait :

— Vous refusez ! Voyons, Huguette, ce n’est pas possible !

La jeune fille la regarda bien en face :

— Ce qui n’est pas possible, c’est que vous ayez cru une minute que je consentirais…

Les mains de Mme d’Aureilhan se crispèrent d’inconsciente angoisse.