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Mme d’Aureilhan avait peine à contenir une rage folle. La figure contractée, la bouche pincée, elle contesta néanmoins, d’un ton d’aigre modération :

— Vos remords sont intempestifs. Nous avons agi comme il le fallait pour tenir notre rang, et quant à votre rôle en la conjecture, vous l’interprétez de façon singulière. Le droit et le devoir des parents ont toujours été de guider les enfants dans le choix, d’une importance capitale, d’où dépendent le bonheur et la prospérité de l’avenir !

— Tel n’est pas notre cas, répliqua nettement M. d’Aureilhan. D’abord, je ne vous engage pas à essayer d’imposer quoi que ce soit à Huguette, ainsi que vous en manifestiez l’intention il n’y a qu’un instant. Ce serait le plus sûr moyen d’échouer… Ensuite, si son consentement était obtenu, arraché par la révélation de nos embarras…

— Dites de l’extrémité où nous nous trouvons ! s’écria Stéphanie, la tête perdue de chagrin et de colère.

— Soit. Si donc vous arrachiez ce consentement par une telle révélation, j’en resterais désespéré toute ma vie… Je ne supporte pas la pensée que ma fille puisse s’immoler pour moi. Ou elle acceptera Gontaud de son plein gré, ou nous subirons la ruine avec toutes ses conséquences.

— Il faudra vendre le château ! clama Stéphanie absolument affolée.

— On le vendra, et ce serait peut-être d’ores et déjà, le parti le pus sage… Il me faut peu pour vivre, et Huguette n’est pas de celles qui prisent l’argent plus haut que tout… Aussi, je doute qu’elle se laisse acheter, même pour des millions… Que je puisse la voir un jour, souriante au bras de celui qu’elle aura choisi, même dans la pauvreté, ce sera encore du bonheur… J’ai tout dit… Faite venir ma fille…

Il retomba contre le dossier de son fauteuil, épuise par l’extraordinaire effort d’énergie qu’il lui avait fallu accomplir pour tenir à son arrogante épouse ce ferme langage, dont elle était bien incapable de comprendre l’élévation.

Livide de fureur concentrée, elle sonna si rudement que l’antique cordon en tapisserie lui resta dans la main.

Germain parut.

— Mademoiselle est-elle chez elle ? s’informa Mme d’Aureilhan de l’intonation cassante qu’elle employait d’ordinaire avec les inférieurs et que son atrabilaire disposition actuelle exagérait encore.

— Oui, madame, répondit le vieux serviteur. Mais mademoiselle se dispose à partir pour le chalet, où elle va faire travailler Mlle Romaine.

Mlle Romaine attendra ! posa la châtelaine d’un ton bref. Priez mademoiselle de descendre tout de suite !

Une minute plus tard, Huguette faisait son entrée dans la bibliothèque, passablement surprise de cette convocation pressante.

Aussitôt, une anxiété obscure assombrit le regard interrogateur qu’elle fixait sur son père et sa belle-mère, dont les visages demeuraient troublés de la discussion récente.

À la vue de sa fille, M. d’Aureilhan baissa le front, — ce front aimé où s’inscrivaient de si cuisantes traces de soucis, — et se rencoigna dans son fauteuil, visiblement excédé de la nouvelle scène qui se préparait.

Stéphanie, au contraire, leva la tête.

Mais, comme elle ne pouvait méconnaître la prudence du conseil de son mari, elle avait la force de se dominer pour ne point paraître imposer à son indépendante belle-fille la solution qu’elle appelait de toutes les puissances de sa volonté.