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Mme d’Aureilhan se leva, les yeux brillants, tout son masque hautain assoupli et rayonnant.

— Nous sommes sauvés ! s’affirma-t-elle dans un brusque élan d’exultation intime.

Et sans accorder un regard au reste du courrier, non plus qu’au chocolat oublié dans l’écuelle d’argent, elle sortit de la pièce d’une allure désordonnée, en complet désaccord avec l’ordinaire solennité de sa personne, descendit l’étage quatre à quatre, et se précipite au rez-de-chaussée dans la bibliothèque où se tenait son mari.

M. d’Aureilhan travaillait, assis à son bureau. Il leva la tête, surpris de cette irruption brutale dans la retraite qu’il se réservait et que l’impérieuse Stéphanie elle-même ne violait pas volontiers.

— Mon cher Hugues, annonça-t-elle triomphalement, tous nos ennuis sont finis !

Il la regarda avec étonnement.

La nouvelle était tellement surprenante qu’il se fût presque demandé si quelque désordre n’advenait point en ce cerveau bien réglé.

Mme d’Aureilhan s’était installée près de la table sur laquelle, d’un geste accoutumé, elle posa la main qu’elle avait grande mais belle.

Elle la considéra une seconde avec satisfaction, et reprit, du même ton d’autorité sereine :

— Mon ami, je ne vous ferai pas languir. Un événement bien imprévu se produit et vous jugerez certainement avec moi que rien de plus heureux ne pouvait nous arriver. M. Gontaud demande la main de « notre » fille !

Pendant ce court préambule, M. d’Aureilhan avait ouvert des yeux inquiet. À la proposition finale, il eut haut-le- corps, interrompant d’une protestation spontanée :

— Il est fou !

Ce fut le tour de Mme d’Aureilhan de sursauter.

Une exclamation lui échappa, qui révélait son état d’âme :

— Fou, M. Gontaud ! Avec sa fortune, est-ce qu’il ne peut pas prétendre à tout ?

Le père d’Huguette promenait parmi ses papiers des doigts agités.

— La fortune ne tient pas lieu de jeunesse, fit-il avec une nuance de sévérité, et il y a des choses qui ne s’achètent point.

Stéphanie eut un haussement d’épaules irrité.

— Des phrases ! Qui vous parle d’acheter quoi que ce soit ?… Lisez cette lettres ; n’est-elle pas touchante ?

M. d’Aureilhan parcourut l’épître du regard et la rendit à sa femme d’un mouvement navré.

— Pauvre Gontaud ! Quel chagrin se prépare là ce brave ami !

Mais elle s’indignait :

— Allons donc ! Huguette ne sera pas assez sotte pour repousser une occasion pareille ! C’est nous qui serions fous à lier si nous ne savions lui inspirer, lui imposer au besoin la seule décision raisonnable ! Songez donc qu’en épousant M. Gontaud, qui lui assurera évidemment par contrat toute sa fortune, votre fille devient plus de dix fois millionnaire ! C’est, pour elle, un avenir absolument inespéré et pour nous, vous le savez, Hugues, acheva-t-elle plus bas, c’est le salut !…

M. d’Aureilhan écoutait, la mine soucieuse.

Quand Stéphanie se tut, la voix cassée par l’appréhension des menaces connues d’eux seuls qu’elle venait d’évoquer, il remarqua, d’un accent plein de doute :

Je sais tout cela. Il est certain que Gontaud offre à Huguette une position qu’elle ne retrouvera jamais, et, chose plus