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au cours de cette entrevue, une fillette exquise, et je suis certain que nous admirerons bientôt une jeune fille rare…

— Petites provinciales, vous n’avez qu’à vous bien tenir ! souffla aimablement René de Lavardens aux Petites Bleues qui rougirent et baissèrent le front avec humilité.

— Tel est aussi mon avis ! appuyait cependant tante Hortense d’un air charmé.

Léonie Pranzac rongeait son frein, tout éloge décerné à autrui, et surtout à une femme, lui paraissait un vol commis à son détriment.

Elle chercha une phrase acérée, afin de peiner quelqu’un pour se venger.

Et tout de suite elle, trouva.

— Comme cette petite Huguette doit se réjouir de rentrer sous le toit paternel ! dit-elle avec componction, tout en coulant un regard perfide vers Mme d’Aureilhan.

Le maître de la maison pâlit, car, sa cruelle nièce avait touché du doigt la question qui brûlait cette âme timide et tendre autant qu’un fer rouge, Huguette d’Aureilhan ayant constamment manifesté une irréductible répugnance à vivre sous ce toit où régnait une belle-mère, et le retour forcé de l’enfant rebelle devant fatalement, de l’avis de chacun, engendrer une redoutable série de difficultés.

Quant à Mme d’Aureilhan, elle possédait parmi ses défauts quelques mérites sans banalité, entre autres celui d’avoir le courage de ses opinions et de ne point esquiver la responsabilité de ses actes.

Elle redressa sa tête altière.

Non, Léonie, prononça-t-elle d’un accent indiquant qu’elle avait senti la sournoise attaque et qu’elle la dédaignait, ma belle-fille ne se réjouit pas outre mesure de réintégrer le château de ses pères. En quoi, d’ailleurs, elle a droit à toute notre indulgence. Ici, en effet, c’est pour elle l’épreuve de l’inconnu, près de moi qui lui suis toute dévouée, mais qu’elle peut, sans injustice, considérer comme une étrangère. Car, à mon très grand regret, je n’ai pas vu Huguette depuis dix ans, lors du voyage que nous fîmes à Paris après notre mariage, et, moi, je la voyais alors pour la première fois… On peut donc ne pas s’étonner de ce qu’elle eût préféré demeurer près de sa maîtresse de pension, qui l’a élevée, en somme… Quel âge avait au juste votre fille, mon ami, quand vous l’avez confiée à Mme Charlotte Fresnault ?

— Pas encore six ans, répondit M. d’Aureilhan, les prunelles humides de reconnaissance.

Et il ajouta, traversé d’une joie douce :

— Si Vous soutenez de la sorte ma petite indépendante, tout ira bien, Stéphanie.

— J’en suis certaine, mon ami, assura-t-elle avec son autorité souveraine.

— Une folle, cette Charlotte Fresnault ? questionna Mme Pranzac, qui devenait souple et flatteuse lorsqu’elle avait été battue par un adversaire de forte taille.

Cette fois encore elle avait touché juste. Intérieurement charmée d’entendre énoncer bien haut son apparition intime, Mme d’Aureilhan se fit condescendante.

— Une déséquilibrée, tout au moins, dit-elle sans conviction.

M. d’Aureilhan eut un faible geste de protestation.

— Oh ! chère amie !…

Elle fixa sur lui son regard impérieux.

— Eh bien ! quoi, mon cher Hugues ? N’avez-vous pas exprimé vingt fois des craintes relatives aux théories de Mme Fresnault, à ses opinions plutôt… avancées ?…

— Je redoutais surtout, se hâta d’exprimer M. d’Aureilhan, que ma fille ne partageât les idées d’apostolat de cette femme très remarquable, dont le seul défaut me paraît être une générosité dépensée