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stupeur céda sous un flot tumultueux de joie, un bouillonnement de tout l’être qui irradia ses prunelles dures de subite douceur et fit monter à ses traits rigides un émoi de jeunesse.

Portant une main à son front où le sang se précipitait et qui battait follement, impuissant, semblait-il, à contenir tant de bonheur, Mme d’Aureilhan se reprit à sa lecture avec avidité, avec un besoin maladif de se convaincre qu’elle ne rêvait pas et se dilatait, au contraire, dans une éblouissante certitude.

« Chère madame et amie, écrivait M. Gontaud, j’aurais dû aller vous voir au lieu de vous adresser ces pauvres lignes que je trouve bien incolores, bien insignifiantes à côté de ce dont j’ai le cœur tout plein… Mais la folle chanson de ce vieux cœur, je l’aurais exprimée plus mal encore, et le courage m’a manqué…

« C’est que je ne me dissimule point la témérité extrême de la requête que j’ose vous adresser. C’est même parce que le sentiment de cette témérité m’accable que je recule devant l’obligation de plaider ma propre cause auprès de mon cher camarade d’Aureilhan, et que je prends, madame, la liberté grande de la confier à votre indulgence, à votre sympathie.

« En un mot, j’aime Huguette.

« Vous l’aviez peut-être deviné déjà, et je n’en faisais pas mystère, depuis longtemps, depuis la première minute de son retour, sans doute, je m’étais pris au charme si rare de votre exquise belle-fille, à sa pimpante grâce de modernisme, à ce parfum de droiture et de vaillance qui se dégage de sa merveilleuse jeunesse.

« Je luttais contre ce sentiment, ridicule à mon âge. Mais l’affreux accident qui n’a été évité l’autre jour que par un miracle que je ne parviens pas encore à m’expliquer, m’a révélé combien cette enfant. m’est chère…

« J’ai compris alors, dans l’éclair de cette minute atroce et divine, que je donnerais sans hésiter ma vie pour la sienne et toute ma fortune pour un sourire d’elle, pour un de ces regards dont la femme aimante récompense celui qui lui fait la vie belle et comblée.

« Je n’ai pas d’autre ambition.

« Aussi je ne lutte plus.

« Je suis conquis et me livre pieds et poings liés à un vainqueur trop charmant qui, j’en ai peur, dédaignera sa victoire.

« Dites à Huguette, madame, que si je ne suis pas le beau jeune homme qui hante les rêves de jeunes filles, je serai, en revanche, l’ami loyal qui ne trompe pas, le dévouement, toujours prêt, l’adoration aveugle qui se contente de servir…

« Elle sera ma fille bien plus encore que ma femme, la petite reine vers qui convergeront toutes mes pensées, tous mes désirs de répandre de la joie autour de moi avec ma richesse inutile, tout ce que j’ai de bon dans l’âme, enfin !

« Dites-lui…

« Ou plutôt, non, ne lui dites rien, sinon que je suis un vieux fou et que je souffrirai comme une vieille bête si elle ne veut pas de moi. C’est hélas ! ce qui m’attend… Je le redoute avec une appréhension palpitante qu’aucune expression ne rendra…

« En ce cas, qu’Huguette me pardonne.

« Qu’elle ait la générosité de ne pas sourire de ma folie et veuille bien croire que je demeurerai, en dépit de tout, son plus fidèle ami.

« Je lui offre cette humble assurance, en vous priant, chère madame, d’accepter mes excuses pour tant d’audace avec mes très respectueux hommages.

« Gontaud. »