Page:Junka - Mademoiselle Nouveau Jeu, paru dans la Revue populaire, Montréal, janvier 1919.pdf/67

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Au bout d’un instant, elle commença pourtant de se rassurer.

En raison même de cette galopade effrénée, la plus grande distance était franchie.

La route que brûlait l’équipage emballé passait en ce moment au bas du parc de M. Gontaud ; il n’y avait plus que quelques centaines de mètres jusqu’à l’avenue du château d’Aureilhan.

Que l’on pût l’atteindre sans accident et tout était sauvé !…

À la minute même où Huguette se réconfortait de cette espérance, Mirliton fit un nouvel écart plus violent que le premier et avant que la jeune fille eût pu deviner le mouvement, se jeta d’un bond fou dans un chemin caillouteux qui dévalait en pente raide vers un bas-fond.

Des lèvres décolorées de Casimir jaillit une clameur de désespoir :

Diou ! la carrière ! Nous sommes perdus !…

Un tremblement affreux secoua Huguette. La carrière, c’était vrai ! Une carrière abandonnée dans laquelle la charrette allait s’abîmer avec son contenu, si un miracle ne l’arrêtait au bord, car le chemin y tombait à pic…

Déjà, elle apercevait les pierres crayeuses, les pierres blanches qui, tout à l’heure, seraient rouge de son sang et de celui de Casimir.

Elle sentit, pour ainsi dire, toute sa chair se hérisser d’épouvante.

Et tandis que derrière elle, Casimir lançait aux échos de déchirants appels, elle s’abandonna contre le dossier de la voiture, les yeux fermés dans une suprême horreur, dans l’anéantissement de l’inexorable sacrifice…

Elle les rouvrit, d’une impulsion plus forte que sa volonté, en un soubresaut qu’elle prit pour le vertige de la chute.

Une bouffée d’air s’engouffra, délicieuse, au fond de sa poitrine contractée.

D’un admirable effort de vigueur, un homme dressé à la tête du poney enlevait l’animal, le suspendait en quelque sorte au-dessus de l’abîme, pendant qu’un autre, cramponné à la légère voiture la tirait en arrière.

Les paupières d’Huguette s’humectèrent d’une rosée heureuse.

C’étaient Jean Quéroy et M. Gontaud qui la sauvaient ainsi de la mort la plus atroce.

Comme cela leur arrivait souvent, tous deux se promenaient en causant dans une châtaigneraie touffue qui limitait de ce côté le parc du riche usinier et longeait le chemin.

Aux cris désespérés de Casimir, ils étaient accourus, — juste à temps, grâce au Ciel ! — et l’effroyable danger passé, ils restaient plus pâles, plus haletants qu’Huguette elle-même.

— Ah ! mes amis ! mes amis ! ! balbutia-t-elle dans un inexprimable soupir de gratitude et de délivrance.

Puis, elle échangea avec Jean un ineffable sourire.

Cher, cher Jean ! Toujours, elle le verrait tel qu’en la prodigieuse minute où les acteurs de cette scène tragique avaient vibré de plus d’émoi que cent existences humaines n’en contiennent d’ordinaire, avec sa fière silhouette superbement découpée sur le vide, et la grandeur du geste auquel elle devait d’être là, de respirer, de l’aimer, — oh ! de l’aimer dans un si divin transport intime qu’elle en bénissait presque l’aventure fatale qui lui révélait son propre cœur.

Mais M. Gontaud lui tendit les bras.

— Venez, mon enfant, descendez… murmurait-il d’une voix qu’un trouble intense hachait encore.