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insignifiants, Huguette s’ennuya donc mortellement.

Venue à contre-cœur à cette réception où elle ne goûtait pas même le dédommagement de reposer son regard sur des figures amies, elle avait hâte d’être seule et libre de ses pensés, affranchi de ce masque conventionnel sous lequel le protocole social nous oblige à abriter nos chagrins, — parfois nos désespoir.

De même que René l’instant d’avant, Mme de Lavardens se récria lorsque la jeune fille s’approcha pour prendre congé d’elle, dans le grand salon où les invités s’éparpillaient après le café.

— Vous n’y songerez pas, ma chère Huguette ! Il n’est guère plus de deux heures et cette jeunesse va organiser des jeux dont il faut que vous soyez. Non, non, je ne consens pas ! Rien ne vous presse, d’abord !

Huguette résista avec grâce :

— Je vous demande pardon, madame ! J’ai à remplir un devoir auquel tout amusement doit céder le pas. Romaine de Saint-Brès m’attend ; vous savez que cette chère cousine a bien voulu me charger de la préparer au brevet, et comme la session d’examens aura lieu dans deux ou trois mois au plus tard, nos moindres minutes sont infiniment précieuses. N’insistez donc pas, je vous en prie : ma responsabilité de professeur est engagée !

Elle plaisantait, mais sa politesse gaie ne déguisait point une volonté inflexible.

Mme de Lavardens le comprit et se résigna avec la moue dépitée des femmes qu’offense la transgression de leurs plus infimes désirs.

— Soit ! C’est tout de même bien ennuyeux ! Quelle singulière idée cette petite Romaine a été se mettre dans la tête !

Huguette sourit et ne répliqua point.

Elle salua Mme de Lavardens et se disposait à serrer les mains de Léonie Pranzac et des Petites Bleues qui, elles, ne demandaient pas mieux que de rester puisqu’on allait s’amuser, quand René intervint :

— Je vous accompagne, Huguette ! fit-il avec son autorité agaçante.

— Ah ! non, par exemple !

Spontanée, la réponse avait jailli des lèvres de Mlle d’Aureilhan avant même qu’elle eût pu songer à lui prêter une forme moins radicale.

Les prunelles noires du jeune Lavardens étincelèrent de contrariété furieuse, tandis qu’une pâleur verdâtre décomposait, l’espace d’un éclair, son teint plutôt ambré.

Déjà Huguette se reprenait.

— Je vous remercie, mais c’est fort inutile. J’ai l’habitude de circuler seule dans la région, et vous vous devez à vos hôtes.

Quoique profondément mortifiée, Mme Lavardens, obéissant à un signe de René, appuya avec son mince sourire doucereux :

— Mon fils a raison, Huguette. Vous n’allez guère loin, d’ordinaire ; toutes vos pérégrinations ont lieu autour du château. Ici, le cas est différent, il y a, en somme, huit bons kilomètres jusqu’à Aureilhan, et il ne serait pas prudent que vous parcourussiez cette distance assez considérable sous l’insuffisante égide de votre petit domestique. Croyez-moi… un accident est vite arrivé…

Un pli volontaire barrait le front d’Huguette. À diverses reprises, il lui avait semblé remarquer que René de Lavardens cherchait à se faire voir en sa compagnie, et comme elle n’entendait à aucun prix se montrer aux côtés de ce garçon compromettant durant deux lieues de pays, elle sentit la nécessité d’un refus catégorique qui déjouât le plan, — dont sa belle-mère