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ductions de la nature, d’ordinaire si puissantes sur elle.

L’idée fixe l’absorbait, plantée en son front ainsi qu’un clou.

Vers le milieu de l’avenue, elle arrêta Mirliton, et, se retournant, considéra longuement le château qui s’érigeait sombre et sévère dans le clair matin.

Au milieu de ce bain de soleil dont s’épanouissaient les parterres voisins, des détails éclataient, terriblement significatifs pour l’observation aiguisée de la jeune fille.

Les lézardes de la façade se révélaient nombreuses et profondes, les volets pendaient un peu de tous côtés au hasard des gonds usés, les ardoises du toit pointu, si noblement seigneurial, manquaient en trop d’endroits…

Comme tout à l’heure dans la bibliothèque, la sensation de cette déchéance des choses assaillit Huguette, et il lui sembla que le lourd édifice était plus étranger, plus hostile que jamais…

Mlle Nouveau-Jeu n’est pas en train, aujourd’hui ? remarqua René de Lavardens d’une voix assourdie et câline qui sollicitait des confidences.

— Il y a des jours comme ça ! répondit Huguette avec l’intonation gouailleuse de gamin parisien qu’elle prenait plus volontiers pour décourager les galantes tentatives de son pseudo-cousin.

Cette fois, il insista :

— Que ce soit précisément le jour de ma fête, voilà qui n’est pas gentil !

Et comme il se penchait un peu trop vers le corsage très largement échancré de Mlle d’Aureilhan, elle se leva, impatientée.

— Il faut me prendre telle que je suis, mon cher ! Or, je ne suis pas en train, vous l’avez dit. Et si vous croyez que je vais faire des frais pour vous, eh bien ! vous êtes encore trop jeune !

— Tout à fait gracieux ! riposta-t-il vexé ! Un vrai fagot d’épines…

— Auquel vous ne vous piquerez pas longtemps ! acheva-t-elle avec un dédaigneux haussement d’épaules. Je vais demander à madame votre mère la permission de me retirer.

Il protesta :

— Déjà ! Par exemple ! Voyons, Huguette, ce n’est pas sérieux ?

Sans l’écouter, elle se rapprochait du groupe entourant Mme de Lavardens.

Il la suivit, résolut à profiter du renfort que lui apportait toujours la présence de sa mère, pour s’imposer à cette irréductible et trop séduisante rebelle.

Bien qu’assez nombreuse, la réunion avait manqué d’animation.

Cela tenait sans doute, malgré qu’en eût dit Mme d’Aureilhan, à ce que l’élément étranger dominait dans cette fête de famille.

Mme de Lavardens avait pensé devoir appeler en l’honneur de son incomparable fils le bon et l’arrière-ban de ses relations, et cette agglomération de personnes dont beaucoup se connaissent peu ou pas du tout, n’allait pas sans quelque contrainte.

De la parenté, il n’y avait là que Pranzac, le notaire étant retenu à l’étude par ses occupations professionnelles, — Huguette représentant son père et sa belle-mère, puis Antoinette et Françoise Saint-Brès.

Comme de coutume, à présent, Romaine était restée au logis pour ne pas sacrifier une journée de travail, et la bonne tante Hortense s’était également excusée, obligée qu’elle était de ne pas quitter son mari plus souffrant.

Mlle d’Aureilhan avait vaguement