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de cet étau moral qu’il lui était interdit de pénétrer, de desserrer même par sa sollicitude filiale !

Elle descendit, une heure plus tard, en simple toilette, la tête bourdonnante de ces questions mélancoliques, avec l’impression de souffrance et d’exil que ressentent les enfants à surprendre des peines que les parents leur cachent.

En arrivant au rez-de-chaussée, elle vit la porte de la bibliothèque ouverte, et, machinalement, elle entra, poussée par la notion vague qu’elle trouverait peut-être dans cette pièce qui enfermait l’existence intime d’Hugues d’Aureilhan, la clé de l’énigme dont elle était obsédée.

Il paraissait à son inquiétude secrète que quelque chose d’insolite lui sauterait aux yeux et la renseignerait dès le premier regard. Elle fut légèrement déçue. Nulle trace de désarroi ; tout était rangé dans l’ordre accoutumé.

Les vieux livres étagés derrière les grillages montraient toujours leurs reliures usées ; la tapisserie se dénudait par places plus fréquentes, les meubles de chêne noirci branlaient un peu plus ; — rien d’autre que les inévitables ravages du temps.

Le bureau même de son père, sur lequel son attention s’était fixée d’instinct, n’offrait aucun désordre, aucun de ces indices que les bouleversements laisse derrière eux. La plume reposait près de l’encrier ; nul papier ne traînait.

Si, un seul, bien insignifiant sans doute.

Huguette l’aperçut, comme elle achevait son inconsciente enquête, au fond de la corbeille où il avait été jeté en boule. Elle se baissa, d’un mouvement impulsif, le prit et constata que c’était une enveloppe grisâtre, violemment froissée par une main nerveuse. Prompte, elle la déplia et discerna parmi les cassures une estampille au timbre humide :

Étude de Me Morrissac, avoué
Auch, Gers.

Huguette se redressa, un peu pâle, un petit frisson à fleur de peau.

Qu’avait à démêler son père avec les gens de justice ? Elle venait d’apprendre par Stéphanie que M. d’Aureilhan était parti pour Auch. De toute évidence, il se rendait chez cet officier ministériel, et si elle reprochait ce voyage précipité, dont elle découvrait le but sinon la cause, de l’accablement singulier de sa belle-mère, elle ne pouvait plus douter que ses parents n’eussent de graves ennuis qu’ils s’évertuaient à lui cacher.

Huguette regarda autour d’elle avec une vague épouvante. Et soudain, les déchirures de la tapisserie lui parurent plus lamentables, l’aspect de vétusté répandu partout plus navrant…

Accoutumée qu’elle était à ces choses antiques, jamais la sensation de pauvreté et de ruine ne l’avaient saisie à ce point.

C’était comme une révélation…

Elle ferma les yeux. Un frémissement la parcourait : elle se croyait enveloppée d’invisibles menaces…

Lente, elle sortit, se dirigeant vers le panier qui l’attendait au bas du perron.

Elle monta en voiture et prit les rênes sans donner comme d’habitude un coup d’œil à l’attelage, sans jeter au vieux Germain, debout et souriant près de la porte, le mot cordial que le fidèle serviteur espérait.

Elle souffrait surtout ne pas savoir, de n’avoir pas le droit et le soulagement de faire face à l’ennemi, quel qu’il fût.

Une fois encore l’hiver avait passé ; un renouveau indécis et charmant parait les arbres de gaze verte et la campagne tout entière d’une beauté joyeuse de résurrection.

Huguette demeurait insensible à ses sé-