Page:Junka - Mademoiselle Nouveau Jeu, paru dans la Revue populaire, Montréal, janvier 1919.pdf/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Allez-y, ma chère Huguette ; je vous assure qu’il est important que vous y alliez !… Vous me désobligeriez vivement en refusant…

Mlle d’Aureilhan s’inclina :

— Soit, ma mère, puisque vous y tenez.

Stéphanie lui tendit la main.

— Merci, Huguette. Vous ne savez pas combien vous me faites plaisir… Tout irait mieux dans la vie, n’est-ce pas, si on parvenait à s’entendre et à s’accorder des concessions réciproques ?

Huguette approuva, quoique passablement déroutée par ces considérations pacifiques, au moins inattendus chez l’intransigeante qu’était sa belle-mère, et elle se retira, un peu plus intriguée encore que le moment d’avant.

De retour dans son appartement, elle chargea la femme de chambre de dire à Casimir de préparer Mirliton, et procéda à une toilette plus soignée que retardèrent de nombreuses distractions.

La jeune fille ne se sentait pas contente et tranquille ; il lui semblait que quelque chose d’anormal flottait autour d’elle, emplissait la maison.

Elle avait perdu de vue l’invitation de Mme de Lavardens, ou plutôt elle l’avait volontairement négligée, se proposant, ainsi que Romaine Saint-Brès qui donnait maintenant tout son temps à l’étude, de trouver un motif plausible pour la décliner.

Elle était lasse à l’extrême de ces perpétuelles réceptions qui constituent le fond de l’existence provinciale et absorbent dans leur agitation vaine tant de précieuses journées ; outre qu’elle eût mille fois préféré couler de douces et paisibles heures en compagnie de Romaine devenue pour elle une élève parfaite, une manière de disciple très près de son cœur, elle n’était pas autrement satisfaite de l’obligation qui lui incombait.

Il lui répugnait de faire en quelque sorte acte de sympathie personnelle en prenant part, toute seule du château, à une fête dont le beau René était le héros.

Elle craignait d’encourager ainsi la cour du jeune homme, — cour qui se faisait insensiblement audacieuse, — et redoutant de façon confuse qu’il profitât de ce jour d’expansion pour se déclarer, elle se demandait, maudissant la fâcheuse absence de son père, si la maladie de sa belle-mère n’arrivait pas avec trop d’à-propos ?…

Puis, elle se reprocha, cette malveillance.

Non, Stéphanie ne feignait pas ; elle était réellement souffrante et abattue, il n’y avait qu’à regarder son teint pâle et le creux de ses yeux, qu’elle usât de cette indisposition pour favoriser les projets de son neveu, c’était tout ce que l’on pouvait se permettre de supposer…

Ces réflexions guidant l’esprit logique d’Huguette vers un second ordre d’idées, elle chercha quelques affaires, à elle inconnues, étaient assez pressantes pour motiver le départ subit de M. d’Aureilhan.

Pourquoi celui-ci ne lui avait-il rien dit la veille ?

Et comme il s’absentait souvent depuis quelques temps, ce cher père !

Comme il revenait fatigué de ces voyages !

D’y penser, Huguette avait l’âme navrée…

Au retour, il l’embrassait avec une tendresse plus grande qui semblait implorer de mystérieux pardons, et, plusieurs jours, sa figure fine gardait une ombre de lassitude et de tristesse infinies.

Que n’eût pas donné la jeune fille pour la chasser, l’ombre fatale, du visage aimé qui s’émaciait davantage sous la pression