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la chambre de Mme d’Aureilhan, et, immédiatement, s’informait avec une sollicitude sincère :

— Seriez-vous souffrante, ma mère ?

Car l’impérieuse Stéphanie, qu’elle savait fort matinale, n’était pas encore levée.

Même, c’était la première fois qu’Huguette la voyait couchée dans son grand lit à colonnes, où son hautain visage, d’ordinaire plein et haut en couleur, apparaissait ce matin-là presque livide à l’ombre des courtines de vieille brocatelle verte, avec des traits tirés de fatigue et d’insomnie et un reflet de souci au fond de ses prunelles dures.

Mme d’Aureilhan s’efforça de sourire.

Mais son sourire était pénible et creusait des rires tristes autour de sa bouche orgueilleuse.

— Rien de grave, repartit-elle d’un accent adouci et faible qui contrastait avec la rudesse ordinaire de son intonation. Une simple migraine, très douloureuse, à la vérité… Cette nuit a été intolérable ; aussi suis-je à bout… Cela ne me ressemble guère, n’est-ce pas ? Que voulez-vous nous avons tous nos heures de défaillance. Mais asseyez-vous donc, Huguette !

Elle lui montrait un siège au pied du lit.

Huguette obéit, un peu intriguée.

Sa belle-mère n’était pas femme à se laisser facilement abattre ; il y avait sûrement une raison, — ou des raisons, — à l’accablement qu’elle m’avait pas la force de surmonter et surtout de cacher.

Silencieuse, Mlle d’Aureilhan attendit la communication qui allait lui être adressée.

Ce fut cependant une chose plus anodine que les apparences ne l’incitaient à le supposer.

Stéphanie reprenait :

— J’ai espéré, ma chère Huguette, que vous consentiriez à me faire un plaisir. Votre père est absent…

— Ah ! s’exclama Huguette étonnée.

— Oui, confirma Mlle d’Aureilhan dont l’organe trahit quelque embarras, il a été obligé de partir pour Auch où ses affaires le retiendront sans doute jusqu’à demain ou après-demain… Quant à moi, je suis, vous le voyez, hors d’état de sortir. Or, vous devez vous souvenir que ma sœur réunit aujourd’hui la parenté à l’occasion du vingt-sixième anniversaire de René, et comme elle serait certainement très attristée que personne de nous ne parût à cette fête tout intime, je compte que vous voudrez bien vous y rendre seule et représenter la famille avec votre grâce accoutumée.

À présent, l’ordre perçait sous la prière du début.

Huguette dissimula un geste de contrariété.

— Ce sera bien gênant pour moi ! fit-elle d’un ton qui éludait.

— Pourquoi donc ? contesta Mlle d’Aureilhan. Vous jouissez d’une liberté trop entière pour que cela puisse surprendre personne : chacun dans le pays est tellement habitué à voir circuler de tous côtés Mirliton et sa maîtresse ! De plus, je la répète, cette petite réunion a lieu avec la plus stricte intimité ; vous n’avez, par conséquent, nul besoin d’être chaperonnée. Vous allez bien seule chez les Petites Bleues ou chez tante Hortense. C’est exactement la même chose, et il est on ne peut plus naturel que votre présence excuse l’abstention forcée de votre père ainsi que la mienne.

Malgré ce raisonnement rigoureux, Huguette ne paraissait pas convaincue.

Aussi sa belle-mère ajouta-t-elle d’un air de supplication impérieuse :