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D’ailleurs, Romaine ne lui laissa pas le temps de se livrer aux conjectures.

— Huguette, fit-elle, aussitôt les ordinaires baisers échangés, tu vas peut-être me trouver bien hardie… J’ose te demander si tu aurais la bonté, toi qui es savante, de me donner des leçons ?…

— Des leçons ? répéta Huguette ravie et craignant d’avoir mal entendu. Des leçons de quoi, ma chérie ?

— De tout ! répondit Romaine avec une modestie délicieuse… Parce que j’espère, en travaillant beaucoup, pouvoir subir l’année prochaine l’examen du brevet élémentaire… Alors, à ta recommandation, ton amie, Mme Charlotte Fresnault, consentira probablement à m’admettre dans son école comme institutrice pour les petites ou, au besoin, comme surveillante, et je serai bien placée là pour continuer mes études, voir… préparer l’avenir…

Huguette avait compris ; une joie tumultueuse et douce l’inondait.

— Viens m’embrasser, ma Romaine, dit-elle lui tendant les bras. Tu seras une vraie femme !

Elles s’étreignirent, dans une communion indicible, vraiment sœurs d’idéal pour la première fois.

— Et, murmura ensuite Romaine rougissante, tu… tu vas écrire à M. Guillaume !… Tu t’informeras si… s’il pense que… si une longue attente ?…

Elle balbutiait, adorablement confuse, ne trouvant pas ses mots.

— Je vais lui écrire sans perdre une minute, ma mignonne ! certifia Huguette attendrie.

Suivant cette promesse, une volumineuse lettre partit le jour même à l’adresse du sculpteur.

La réponse arriva quarante-huit heures plus tard. Ce ne fut pas Huguette qui la reçut.

Elle parvint sous la forme d’une boîte minuscule qu’un grand bijoutier de Paris expédiait à Mlle Romaine Saint-Brès.

Troublée divinement, la Petite Bleue défit l’enveloppe préservatrice et pensa défaillir d’elle ne savait quelle ivresse suave en apercevant un étroit écrin de satin blanc.

Elle l’ouvrit d’une main tremblante : il contenait une petite bague bien modeste, un mince cercle d’or dont le chaton était formé d’une simple turquoise, — la pierre porte-bonheur.

Avant de passer la petite bague à son doigt, Romaine la tint longtemps sur ses lèvres frémissantes…


VII


— Ernestine, ordonna Mme d’Aureilhan à la femme de chambre, prévenez mademoiselle que j’ai besoin de lui parler.

— Bien, madame.

La jeune fille traversa le vaste palier du premier étage, et gagnant un couloir de service, alla frapper à la porte du cabinet de toilette d’Huguette.

Celle-ci s’habillait ; elle répondit le traditionnel « Entrez ! » et écouta non sans surprise le message dont s’acquittait Ernestine.

Il n’était pas, en effet, dans les habitudes de sa belle-mère de la mander chez elle de la sorte, et toujours en éveil, malgré l’aménité extérieure qui persistait à caractériser leurs rapports, Huguette redoutait quelque complication.

Elle répliqua toutefois avec un empressement apparent :

— Dites à madame que je me rends tout de suite à son appel.

Sans prendre le temps d’achever sa toilette, elle passa un peignoir.

La minute d’après, elle pénétrait dans