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m’a-t-il laissé croire ?… Oh ! c’est mal ! c’est mal !…

Bouleversée, Huguette s’agenouilla devant la tendre petite créature que cette tourmente intime brisait.

— Écoute-moi, ma chérie ! supplia-t-elle avec une persuasive douceur. Guillaume n’est pas coupable envers toi… Il m’a chargée de t’expliquer cette situation douloureuse… Il est trop pauvre, vois-tu, vous êtes trop pauvres tous les deux…

— Qu’est-ce que cela fait quand on s’aime ! fit Romaine farouche.

— Et qu’on peut lutter ensemble, n’est-ce pas ! acheva Huguette d’un ton d’involontaire sévérité.

La Petite Bleue tressaillit et la regarda.

— Qu’entends-tu par là ?

— Simplement la triste, l’inexorable réalité : un artiste dénué de fortune ne peut et ne doit choisir qu’une compagne capable de le seconder. Une femme intelligente et dévouée, en état de se suffire et au besoin d’apporter du pain dans le ménage, devient le plus précieux des collaborateurs. Toi, ma pauvre petite, tu aurais été une charge, le boulet qui entrave à jamais une carrière…

Les pleurs jaillirent à flots des yeux de Romaine.

— Si j’avais été riche ! murmura-t-elle d’un organe tremblant de rancune.

— Pas n’est besoin d’être riche, répliqua Huguette avec un soupçon d’impatience. Comprends-le donc : ce n’est pas une dot que Guillaume regrette surtout. Votre mariage eût été encore possible en travaillant côte à côte. Ah ! quel malheur, conclut-elle, entraînée par son sujet favori, qu’une profession, même manuelle, ne te permette pas de gagner ta vie ! Si tu avais été sûre d’obtenir par ton labeur seulement cent francs par mois, Guillaume t’aurait épousée malgré tout. Son attachement est assez sérieux, assez profond, pour lui faire braver la médiocrité…

Romaine releva sa tête accablée :

— Il te l’a dit ?

— Il me l’a dit ! précisa Huguette gravement.

Sa cousine lui saisit la main.

— Oh ! je t’en prie, raconte-moi ! implora-t-elle, les yeux brillants et les larmes soudain taries.

Huguette ne demandait pas mieux. Minutieusement, elle résuma son entretien du matin avec le sculpteur.

Tandis qu’elle parlait, une indéfinissable sérénité renaissait au visage marbré de Romaine.

Quand Mlle d’Aureilhan se tut, elle continua de rester immobile, le regard lointain, absorbée dans une impénétrable méditation.

— Laissez-moi y réfléchir, Huguette, articula-t-elle ensuite d’un ton posé. J’irai te voir demain, si tu le permets.

Huguette savait combien on aspire au recueillement après de pareilles crises morales.

Elle assura donc qu’elle serait heureuse de recevoir la visite de sa chère petite cousine, lorsque celle-ci se sentirait plus résignée et calme.

Et, ayant longuement embrassé l’énigmatique Petite Bleue, elle se retira, attendant le lendemain non sans curiosité.

Comme la veille, au moment de la venue de Guillaume, elle terminait à peine son premier déjeuner que Romaine parut.

Selon sa bienfaisante prérogative, la nuit avait sans doute porté conseil à la jeune fille, car Huguette s’aperçut tout de suite avec une certaine surprise qu’elle était toute rose et que son charmant visage resplendissait d’une sorte de résolution crâne, de jolie vaillance qui lui prêtait une séduction nouvelle.