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ser à leur sœur la liberté de dérober son chagrin.

Elles durent pourtant se décider à rentrer. Comme elle revenait de la gare, Huguette les aperçut qui descendaient languissamment le talus bordant la route.

Elle les rejoignit et arrêta Mirliton.

— Vous étiez là-haut ? interrogea-t-elle, inquiète, montrant du fouet la croix qui ouvrait ses bras de pierre dans le ciel transparent.

Les deux sœurs firent oui de la tête.

Elles se drapaient dans leur fierté, les Petites Bleues, et attendaient des explications d’un air digne.

Huguette ne songeait guère à leur en donner.

— Et Romaine ? s’informa-t-elle précipitamment. Elle était avec vous ?

Antoinette et Françoise se consultèrent du regard sur l’opportunité de la réponse.

Et, d’un accent chargé de reproches, l’aînée répliqua :

— Oui, Romane a vu comme nous… Elle a pris les devants… Probablement. elle désire être seule… Cela se comprend !

Huguette ne s’attarda point à consoler l’amertume que distillaient ces phrases brèves, sous lesquelles sa pitié tendre sentait cependant vibrer une grosse peine.

Elle caressa de la mèche les oreilles de Mirliton qui repartit au grand trot, tandis que du siège d’arrière Casimir adressait à son ancienne compagne de catéchisme une grimace expressive qui signifiait : « Je vous l’avais bien dit ! »

Cinq minutes plus tard, Mlle d’Aureilhan jetait les rênes à son petit domestique et sautait prestement à terre devant le chalet.

Un coup d’œil lui ayant appris que les pièces du rez-de-chaussée étaient désertes, elle monta et se dirigea vers la chambre de Romaine.

Elle frappa doucement à la porte.

Aucune réponse ne vint.

Elle frappa une seconde fois sans plus de succès, et, effrayée, ouvrit, fouillant anxieusement l’intérieur du regard.

Personne.

Elle respira, et ses paupières se mouillèrent.

Elle avait eu peur de voir là sa cousine évanouie.

Maintenant, une secrète émotion lui apprenait où elle trouverait Romaine.

Sur la pointe du pied, elle traversa le palier et pénétra sans avertissement préalable dans la pièce qui gardait pour la dévotion de l’enfant comme un reflet de la chère présence auprès de laquelle, naguère, elle se fût réfugiée.

Prostrée contre le lit, la tête enfouie dans les couvertures, la douce abandonnée pleurait à présent de ces larmes intarissables qui disent la désolation sans fin.

Profondément remuée, Huguette la prit dans ses bras :

— Ma chérie ! ma petite Romaine !

La jeune fille eut un mouvement pour se dégager. Puis, de reconnaître sa cousine, détermina en elle un nouveau remous de chagrin.

Un retour de sanglots la secoua toute, et, inclinant sur l’épaule d’Huguette son front brûlant de fièvre, elle s’écria d’une voix désespérée :

— Comment a-t-il pu ?… Comment : a-t-il pu !…

— Hélas ! ma pauvre mignonne, repartit Huguette avec une compassion infinie, il le fallait !… Guillaume n’a pas eu le courage de te revoir…

Échappant à l’affectueuse étreinte de Mlle d’Aureilhan, Romaine s’abattit dans un fauteuil.

— Mais alors, interrompit-elle d’une inexprimable intonation navrée, pourquoi