Page:Junka - Mademoiselle Nouveau Jeu, paru dans la Revue populaire, Montréal, janvier 1919.pdf/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Prête à sauter, elle s’arrêta au sommet, un pied en l’air, muette de saisissement.

Mais elle n’était jamais muette longtemps.

Presque violemment, elle s’écria :

M. Maresquel s’en irait ? Tu as la berlue, Casimir !

L’enfant secoua la tête, ripostant non sans quelque étonnement :

— Je vous assure que je ne me trompe, demoiselle. Pourquoi donc qu’il ne s’en irait pas, M. Guillaume ? C’est un Parisien, il n’est pas de chez nous… Il s’en retourne par le train de cinq heures…

— Aujourd’hui ? clama la Petite Bleue affolée.

— Oui, confirma Casimir. Même que Mlle Huguette veut le conduire en personne et m’a commandé d’atteler Mirliton. Il faut que je me dépêche, je vais être en retard…

Françoise n’écoutait plus.

Elle avait bondi au bas du tertre et prenait sa course vers le chalet, où elle arriva hors d’haleine moins de dix minutes après.

Antoinette et Romaine brodaient paisiblement dans le vestibule, la pièce la plus fraîche de leur petite maison.

Accoutumées aux allures fantaisistes de leur cadette qui avait ouvert la porte d’un coup de poing et s’immobilisait sur le seuil, rouge et essoufflée, elles ne songeaient pas à commenter ces manières insolites.

Leur quiétude ne fut pas de longue durée. Dès qu’elle fut parvenue à respirer, Françoise jeta en une exclamation indignée :

M. Maresquel s’en va !

L’ouvrage glissa des mains soudain tremblantes des aînées.

Et Antoinette s’insurgea, comme toujours, devant la réalité trop rude :

— Sans avoir pris congé de nous ! s’écria-t-elle outrée. Sans même nous avoir prévenues de l’impérieuse nécessité qui l’obligerait à s’éloigner si vite ! Ce n’est pas possible !

— C’est sûr, je te dis ! certifia la petite d’un ton colère. M. Maresquel s’en retourne à Paris ce soir, par le train de tout à l’heure. J’ai vu, de mes yeux vu, ses bagages que l’on portait à la gare il n’y a qu’un instant. Et si nous montons jusqu’au calvaire qui domine la route, nous le verrons s’en aller dans le panier d’Huguette. Elle l’accompagne elle-même au train. Je le tiens de Casimir. Ainsi !…

Cette fois, Antoinette était convaincue. Elle se leva, les prunelles brouillées de larmes :

— Le lâche, comme il nous a bernées ! cria-t-elle avec cette emphase naïvement romantique qui caractérisait ses impressions de la vie.

Romaine n’avait rien dit, mais son pur visage tout à coup rigide et blêmi, semblait être devenue de cire.

Elle ne bougeait pas, ne pleurait pas, fixant sa cadette avec une expression égarée qui faisait mal.

Manifestement, cette chose stupéfiante dépassait sa compréhension.

Elle ne croirait à cet inconcevable départ que lorsqu’elle l’aurait personnellement constaté.

Les jambes raidies, elle quitta son siège d’une démarche pénible.

— Il faut savoir ! prononça-t-elle d’une voix creuse qui sonnait le désarroi de son âme. Allons là-bas.

Et, sans s’inquiéter si ses sœurs la suivaient, elle sortit, se dirigeant automatiquement vers l’endroit où elle pourrait acquérir l’irrémédiable certitude de son malheur.

Quand Guillaume passa, au trot alerte