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sition d’un artiste sans le sou est par trop incertaine… J’aurais beau descendre au métier, dans l’exaspérante attente des commandes, je ruinerais ma carrière et ma pauvre petite compagne ne mangerait pas tous les jours… Allons, c’était un rêve…

Huguette se taisait, péniblement impressionnée.

Ce qu’elle avait prévu se réalisait, et elle s’en voulait à présent, de n’avoir pas su empêcher le joli roman dont la conclusion s’annonçait si cruelle.

Un soupir, rauque comme un sanglot, siffla dans la large poitrine du statutaire.

D’une voix que la douceur cassait, il acheva :

— Alors, vois-tu, Huguette, il vaut mieux que je m’en aille… que je ne la revoie plus… Si… si elle s’étonne… tu lui expliqueras, n’est-ce pas ? Tu… tu lui diras que je regrette tant… que je suis très malheureux !…

Il s’était levé et gagnait la porte, pour qu’Huguette ne s’aperçût pas que des larmes noyaient ses yeux gais.

— Oui, répéta-t-elle machinalement, je lui expliquerai.…

Et elle resta longtemps immobile devant sa table, écrasée par le poids d’une telle mission.

✽ ✽

Le malheur fut qu’Huguette ne put rien expliquer.

Romaine reçut le coup avant que sa cousine eût eu le temps de l’y préparer.

En personne trotte-menu, toujours courant ici et là, Françoise, la dernière des Petites Bleues, était généralement la première à connaître les nouvelles du pays, qu’elle enjolivait au besoin de détails inédits.

L’après-midi de ce jour, elle se trouva donc à propos sur la route pour voir déboucher de l’avenue du château une voiture chargée de bagages qui l’intrigua considérablement.

« Peut-être que l’oncle Hugues part en voyage ? se dit-elle en suivant de l’œil le véhicule qui filait bon train dans la direction de la gare de Nogaro. Mais je l’aurais su ?… »

Elle demeura une minute plantée au bord du fossé, ses fins sourcils froncés de cette question sans réponse.

Fidèle à ses habitudes de gamine fureteuse, elle se demandait si elle ne risquerait pas une petite reconnaissance du côté de l’habitation, lorsqu’elle avisa Casimir, le groom d’Huguette, qui levait les écluses d’un ruisselet dans le pré voisin.

Elle courut à lui, le hélant de loin :

— Hé ! Casimir !

Casimir se retourna et sourit en touchant du doigt le bord de son béret. Quoiqu’il s’efforçât, dans l’exercice de ses fonction, d’incarner le personnage, pour lui supérieur, du domestique bien stylé, c’était à l’ordinaire un brave petit paysan qui n’aimait rien tant que de courir pieds nus, et nourrissait une vénération particulière pour la damizelle Françoise, avec laquelle il avait fraternisé sur les bancs du catéchisme.

La curieuse fillette ne pouvait, par conséquent, mieux tomber pour obtenir de sûrs renseignements.

— Dis donc, Casimir, répéta-t-elle quand elle ne fut plus qu’à quelques pas, qu’est-ce que c’est que ces malles qu’on envoie à la gare ?

— Celles de M. Guillaume, répondit innocemment le petit.

Françoise escaladait un tertre, afin de rejoindre son ancien camarade et de causer plus commodément.