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gingandée, qui rend flasques les vêtements de la coupe la plus parfaite.

Coup sur coup, les autres invités arrivèrent.

D’abord, une coquette charrette anglaise amena une parente par alliance, Mme de Cazères, que la jeunesse de la famille appelait Hortense, exquise femme au visage frais et tendre sous ses cheveux gris, qui vivait avec son mari impotent dans une belle propriété située non loin de là, et tâchait de se consoler de la presque continuelle absence de ses deux grands fils, Maurice et Luc, l’un militaire, l’autre marin, en cultivant passionnément des fleurs et en faisant beaucoup de bien.

Ensuite apparurent modestement à pied, Mme Saint-Brès et ses trois filles, Antoinette, Romaine et Françoise, âgées de dix-neuf, dix-sept et quinze ans, gentilles créatures communément nommées les Petites Bleues, à cause de la pieuse livrée qu’elles portaient.

Cousine germaine de M. d’Aureilhan, Mme Saint-Brès était demeurée veuve très jeune avec ces trois enfants à élever ; n’ayant pas de dot à leur donner, elle les avait vouées jusqu’au mariage à la suave couleur assurant celles qui en sont revêtues d’une spéciale protection de la Vierge Marie, et la pauvre mère espérait ardemment qu’une intervention céleste ménagerait un sort heureux à ses chères Petites Bleues qu’elle craignait de trop tôt abandonner.


Sa santé, en effet, était débile, ruinée par les soucis, et, sans doute, les privations secrètes.

Elle avait été fort belle et l’était encore dans les simples robes noires auxquelles la condamnait une abdication volontaire autant que le stricte économie imposée par sa situation.

— Je crois que voilà notre réunion complète, dit Mme Pranzac qui n’aimait pas attendre.

— Non, répliqua M. d’Aureilhan, il manque encore l’ami Gontaud et son nouvel ingénieur.

Léonie haussa ses sourcils d’encre en manière d’interrogation.

— Qui ça, le nouvel ingénieur ?

— Au fait, vous le connaissez, remarqua Mme d’Aureilhan. C’est Jean Quéroy, vous savez bien, le fils de ce pauvre docteur Quéroy, qui mourut victime de son dévouement, il y a une douzaine d’années, en soignant des malades atteints de diphtérie ?

Mme Pranzac opina de la tête. Elle se souvenait.

Puis, comme elle ne pouvait se tenir d’exprimer une appréciation désobligeante sur les gens dont on parlait, elle ajouta :

— Ce garçon me paraît un sot. Qu’avait-il besoin d’aller se mettre aux gages d’un usinier ? Il était tellement plus simple et plus digne d’embrasser la profession de son père !

— Jean n’aurait guère pu être médecin ici puisque le docteur Quéroy est remplacé depuis longtemps et qu’il n’y a pas de clientèle pour deux, rétorqua doucement tante Hortense qui avait un peu la spécialité de défendre ceux que la mordante Léonie attaquait, D’ailleurs, la médecine, ça ne lui disait rien, à cet enfant ! Il ne rêvait que chimie, électricité, que sais-je ! À mon sens, il a eu grandement raison de préférer la carrière vers laquelle l’inclinait une vocation précoce.

On approuva. Léonie pinçait les lèvres, préparant quelque riposte maligne, tandis que Mme de Lavardens résumait :

— Et, en somme, Jean Quéroy a de la sorte une bien meilleure position. Il jouit d’appointements confortables, et comme