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rait pas de rencontrer un jour ou l’autre au château.

Alors, pourquoi ne pas laisser faire le destin ? Pourquoi chercher à éloigner le statuaire de celles vers qui une mystérieuse attirance paraissait l’appeler ?

Tout de suite, avec sa droiture inflexible, Huguette se dit qu’elle n’avait pas le droit de s’interposer, même avec les meilleures intentions, pas le droit de détourner de ces enfants perdues dans leur solitude morale l’affection qui voulait aller les trouver.

Le sentiment silencieux dont la floraison merveilleuse envahissait maintenant tout son cœur, la rendait indulgente aux tendresses qui s’ignorent et demandent leur voie.

Elle se reprocha d’avoir été trop pessimiste quant aux Petites Bleues.

Il n’est pas permis de préjuger de l’avenir et de mesurer les inspirations de l’âme à l’aune misérable des intérêts humains.

L’avenir ! Qui pouvait savoir s’il ne résidait pas, pour une des filles de la douce morte, dans la protection, la sollicitude virile de Guillaume Maresquel ?…

Ces réflexions rapides firent qu’Huguette sourit presque aussitôt après avoir soupiré, et annonça d’un accent de résolution gaiement fataliste :

— Nous irons chez les Petites Bleues cet après-midi même, mon ami Guillaume !

Huguette ne tarda pas à constater que sa fine intuition ne l’avait pas trompée.

Guillaume montrait un plaisir évident dans la société des Petites Bleues.

L’invraisemblable candeur des trois fillettes le divertissait infiniment et le reposait de la malice avertie des Parisiennes mondaines et « blagueuses ».

Il déclarait volontiers le contraste séduisant, et il était séduit, en effet, plus qu’il ne le savait lui-même…

De leur côté, ces enfants neuves, absolument conquises par l’affection que leur témoignait avec simplicité ce beau garçon au franc visage, ne juraient plus que par leur nouvel ami, et, sans raisonner, voyaient en lui un sauveur.

Cette espérance incertaine parut bientôt prendre corps.

La sympathie du sculpteur se précisait à l’endroit de Romaine.

L’artiste exubérant et rieur s’attardait volontiers aux côtés de cette jolie créature silencieuse dont le sourire était si tendre et les beaux yeux si éloquents.

Et bien qu’elle s’efforçât à une attitude de correction impeccable, la sérieuse Romaine ne parvenait pas à dissimuler la joie intime qui lui causait la préférence du jeune homme.

Pour se convaincre qu’elle n’était pas indifférente à ses soins, il suffisait d’observer la buée rose qui lui montait aux joues dès qu’elle l’apercevait, la palpitation éperdue qui soulevait son corsage quand il avait pour elle un geste plus caressant ou une parole plus douce.

À son insu, elle l’aimait.

Elle l’aimait à mourir de misère si elle le perdait.

Inquiète et charmée à la fois, captivée par la fraîcheur de cette exquise idylle, Huguette, maintenant, se demandait chaque jour comment tout cela finirait ?

Par la force des choses, le dénouement fut proche.

On touchait à la fin des vacances, c’est-à-dire au moment où Guillaume Maresquel devait regagner Paris et reprendre le cours de ses travaux, de son existence laborieuse et précaire d’artiste notoire mais pauvre, asservi à tous les caprices du sort.

Cependant, le mot mélancolique de départ n’avait pas encore été prononcé.

D’un charitable accord tacite, on s’abs-