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bles Petites Bleues, ce beau et affectueux garçon qui prêtait aux étriquée vêtements modernes sa superbe prestance de guerrier gaulois.

En l’amitié délicate qu’elle ressentait pour ses cousines, Mlle d’Aureilhan ne pouvait guère avouer que c’était la crainte d’infliger une déception nouvelle à ces enfants ayant déjà tant souffert, qui l’incitait à retarder la rencontre avec le sculpteur.

Ce fut donc d’un ton d’embarras très différent de son habituelle spontanéité, qu’elle répondit enfin au jeune homme étonné de son silence.

— Que veux-tu, mon bon Guillaume il faut compter avec les sévères et, après tout, respectables coutumes de la province… Ces fillettes sont seules, en grand deuil…

Guillaume s’apitoya :

— C’est vrai ! Pauvres Petites Bleues, les voilà tout en noir, maintenant !

Huguette secouait la tête :

— Non. Quand on porte une couleur par suite d’un vœu, on ne peut la quitter en aucun cas. Une des plus expresses recommandations que leur mère mourante adressa à mes jeunes cousines, fut précisément de ne pas abandonner la pieuse livrée pour les signes extérieurs du deuil, et de la conserver fidèlement jusqu’au terme fixé pour l’expiration de ce vœu.

— Pauvre mère ! fit Guillaume ému. Et, tu me l’as écrit, si je ne me trompe, ce n’est que par le mariage que les Petites Bleues seront affranchies de ce céleste uniforme ?

— Oui…

Il y eut une pause.

Dans l’esprit des deux amis d’enfance remuaient beaucoup de choses que, probablement, ils ne démêlaient pas très bien.

Au bout d’un instant, Guillaume reprit :

— Sont-elles absolument seules ? Elles ont bien de proches parents qui s’intéressent à elles, un tuteur ?

Huguette haussa les épaules :

— Oh ! un tuteur ! De nom, et encore ! Cette mission incombe à un frère de leur père, négociant de Bordeaux tout à des affaires difficiles, qui ne se soucie pas de s’occuper de ces orphelines pauvres pouvant devenir une charge. En dehors de lui, elles n’ont pas d’autres parents que nous, qui ne sommes que des cousins. Les membres de la famille, que tu connais déjà, ont fait tout ce qui dépendait d’eux pour adoucir à ces enfants les premiers temps d’un deuil cruel, mais tu conçois aisément qu’elles ne sortent guère et ne reçoivent pas d’étrangers…

Guillaume protesta :

Mlles Saint-Brès auraient vraiment tort de me considérer comme un étranger ! s’écria-t-il avec chaleur. Tu m’as tant parlé d’elles et de leur mère, lorsque tu m’écrivis à propos de ce malencontreux tableau ; je me suis tellement passionné pour cette affaire, — qui eût réussi, s’il n’avait fallu que me dépenser sans compter, — et j’ai gardé au cœur un si vif désir d’être agréable ou utile à ces touchantes Petites Bleues, qu’il me semble être pour elles un vieil ami ! Je serais désolé de ne pas les voir pendant mon séjour ici. Promets-moi que tu me mèneras auprès d’elles, Huguette, afin que j’aie le plaisir de les assurer au moins de ma sympathie.

— Soit, accorda Huguette en soupirant.

Elle comprenait qu’elle ne pourrait différer indéfiniment une entrevue qui s’imposait presque, en somme.

Car Guillaume avait raison. Il était tout naturel qu’il allât rendre visite à ces jeunes filles qu’il avait si cordialement obligées, et que, d’ailleurs, il ne manque-