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— Je me rappelle ! répondit-elle, sérieuse comme aux minutes capitales de la vie.

— Et vous ne changerez pas ? interrogea-t-il tendrement. Ni maintenant, ni plus tard ?

— Je ne suis pas de celles qui changent. Quand j’ai donné ma confiance à quelqu’un qui la mérite, c’est pour toujours !

Sans qu’elle en eût conscience, son sourire était devenu d’une douceur ensorcelante de magnifiques promesses illuminaient ses yeux incomparables.

Jean fut ébloui.

— Pour toujours ! murmura-t-il d’un accent que le divin bouleversement brisait.

Il lui prit la main et la baisa.

Il n’y eut pas d’autres paroles échangées, pas de verbeux serments, aucune de ces formules officielles qui impriment leur marque banale aux plus pures félicités humaines.

Tout de suite, Jean s’éloigna à grands pas, craignant de délirer de bonheur.

Et Huguette s’en retourna ainsi que dans un rêve.

Leurs cœurs étaient fiancés…

✽ ✽

— Huguette, dit Guillaume Maresquel quatre ou cinq jours après son arrivée, pourquoi donc n’ai-je pas encore vu les Petites Bleues ? Je croyais leur habitation proche du château ?

Mlle d’Aureilhan hésita.

Par suite d’une sorte de réserve mentale qu’elle ne définissait pas bien elle-même, elle avait, en effet, différé de présenter son parent à ses jeunes cousines.

Elle savait que le romanesque ne perdait jamais ses droits chez les Petites Bleues, et que, sous l’oppression de la catastrophe récente, les trois orphelines attendaient avec plus de ferveur encore qu’autrefois le libérateur de leur triste sort.

Était-il possible qu’il ne se rencontrât point de par le monde un galant chevalier, un beau jeune homme pourvu de tous les dons qui eût pitié de trois petites créatures ainsi abandonnées ?…

Bien sûr, la Providence ne le permettrait pas.

Un radieux matin, surgirait d’un point quelconque de l’horizon le Prince Charmant qui s’éprendrait de l’une d’elles, l’épouserait et l’emmènerait avec ses sœurs en une résidence mondaine où le mariage des deux autres ne serait plus qu’une question de semaines.

Sans aucun doute Huguette redoutait, confusément que son camarade d’enfance, auréolé du double prestige du Parisien et de l’artiste, n’incarnât aux yeux de ces enfants ignorantes et pétries d’illusions, le personnage de rêve qu’elles espéraient ardemment.

Parce que le statuaire était bien fait, pour tourner la tête aux admiratives Petites Bleues.

Grand, avec cette souplesse robuste qui dit la force, d’allures désinvoltes tempérées de bon goût, il avait en toute sa personne cette précision harmonieuse des mouvements propre à ceux qui se sont consacrés corps et âme à l’étude de la beauté qu’ils s’assimilent inconsciemment, et sa physionomie ouverte dont les traits réguliers respiraient le courage, la franchise, la gaîté, attirait invinciblement la sympathie comme une synthèse des caractères éminents de notre race.

Une longue moustache blonde retombante achevait la ressemblance avec le type primitif, et Huguette n’avait pas tout à fait tort en redoutant les ravages que ferait à son insu, chez les impressionna-