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une reconnaissance, une supplication infinies :

— Oh ! tu les aimeras, n’est-ce pas ?… Tu les guideras… Elles en ont tant besoin, vois-tu… Oui, c’est cela… Tu sais, toi,… elles ne savent rien… sois leur sœur aînée…

D’un organe que l’émotion rendait chevrotant, Huguette réitéra sa promesse, tandis que les Petites Bleues contenaient d’un inexprimable effort les grosses larmes désespérées qui s’obstinaient à remonter à leurs paupières battantes.

Mme Saint-Brès essayait de parler encore. Mais les mots haletants qu’elle prononçait la fatiguaient horriblement.

— Je ne peux plus, dit-elle avec une admirable résignation. Je vais prier.

Elle s’absorba dans un recueillement que ses filles et sa jeune parente respectèrent, se bornant à contempler de l’extrémité de la chambre cette brune tête encore si belle que sa méditation intérieure auréolait d’une surhumaine grandeur.

Huguette se retira vers le soir, le cœur noyé de tristesse.

Deux jours plus tard, Emmeline Saint-Brès s’éteignit doucement, sans souffrance.

Le ressort trop usé s’était arrêté…

Et les Petites Bleues restèrent seules dans leur maison en deuil.


VI


Dans le courant de l’été suivant, Huguette rayonna d’une grande joie.

Jamais encore, depuis qu’elle était de retour dans l’antique demeure familiale, elle n’avait si joliment manifesté la franche gaîté de sa nature, elle ne s’était si délicieusement épanouie.

Tout le jour, elle chantait.

Dans les recoins les plus opposés du château, on entendait résonner sa voix fraîche, tantôt lançant à plein gosier les vieux airs pyrénéens comme une fauvette de la montagne, tantôt gazouillant un pimpant couplet à la mode comme un simple pierrot parisien.

Et quand elle avait fini de chanter, elle riait, à propos de rien, d’un rire adorable d’entrain et de jeunesse.

Tout l’entourage était sous le charme.

M. d’Aureilhan regardait sa fille avec des yeux humides de tendresse ravie.

Puisqu’elle était heureuse, elle ne songerait plus à s’en aller, la chère mignonne, l’unique rayon de sa vie !

Au coin des lourdes paupières de René de Lavardens, que commençait à impatienter fortement son rôle d’éternel soupirant, s’allumait plus souvent la flamme passionnée, tandis qu’au fond des sombres prunelles de Jean Quéroy la lueur tendre se faisait plus pénétrante et plus douce.

De celle-ci seulement, Huguette daignait s’apercevoir. Elle en avait le cœur ineffablement, exquisément réchauffé…

Le bon M. Gontaud ne tarissait point d’admiration sur le compte de « sa chère petite voisine », pour laquelle il avait décidément une prédilection marquée, et la belle-mère d’Huguette, de plus en plus aimable, se demandait avec une sourde inquiétude si ses craintes de l’année précédente n’étaient pas justifiées ?

Car c’était la prochaine arrivée de Guillaume Maresquel qui communiquait à la jeune fille ce beau rire de plaisir, cette dilatation de créature enchantée du monde et de la vie.

L’intelligence de Mme d’Aureilhan, très réelle, mais entachée de préjugés, attardée en des routines, était fort incapable de concevoir quelle haute indépendance de cœur Huguette devait à sa libre éducation, et elle s’obstinait à redouter la pas-