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Une crainte sombre envahit le cœur promptement inquiet de Mlle d’Aureilhan.

Sans même prendre le temps d’interroger le mandataire de sa cousine, — un brave paysan du voisinage, — elle coiffa à la hâte son canotier et se rendit directement aux écuries où elle aida elle-même Casimir, son petit domestique, à harnacher le poney Mirliton.

Un quart d’heure plus tard, le léger équipage s’arrêtait devant le chalet, et la jeune fille s’élançait à terre, plus oppressée d’appréhension en constatant que, contre leur habitude, les Petites Bleues ne venaient pas à sa rencontre.

Ce fut Catinelle, une bonne de seize ans, portant le mouchoir local sur ses cheveux de jais, qui reçut la demoiselle du château.

— Votre maîtresse va plus mal ? s’informa Huguette avec anxiété.

Et en l’expression intense propre aux populations méridionales, la jeune paysanne répondit, d’un accent de pitié navrée :

— Oui, damizelle. Elle baisse, la pauvre ! Je crois qu’elle n’ira pas loin…

Huguette vola le long de l’escalier.

Au premier coup d’œil, elle comprit que Catinelle n’avait rien exagéré.

Assise sur son lit, aussi blanche que la pile d’oreillers qui soutenait son buste amaigri, Emmeline Saint-Brès respirait avec difficulté.

Les Petites Bleues l’entouraient, leurs yeux ingénus élargis de silencieuse épouvante, leurs figures rondes tirées et pâlies paraissaient plus livides au-dessus des robes couleur de ciel.

À l’entrée d’Huguette, une douceur joyeuse attendrit le regard de la malade, ce regard de pierrerie noire qui, brillant de fièvre, mettait une sorte de flamme profonde dans sa face de cire.

Elle tendit affectueusement ses mains diaphanes en un geste d’accueil, et Mlle d’Aureilhan, posant avec une pieuse tendresse ses lèvres sur le front que la lourde chevelure d’ébène paraît d’une dernière, d’une inséparable couronne, frissonna de le trouver moite d’une fine sueur froide.

Tout de suite, comme si elle eût redouté de ne plus pouvoir bientôt, Mme Saint-Brès s’efforça d’exprimer à Huguette la raison de son appel.

— Je t’ai fait venir, ma chérie, dit-elle de sa pauvre voix si faible qu’elle n’était presque plus qu’un souffle, pour te parler d’elles, pour te les confier…

Son regard maintenant enveloppait les Petites Bleues d’une caresse indicible.

Comprenait-elle, à cette heure où, sans doute, elle envisageait les choses de la terre avec la suprême lucidité de ceux qui vont les quitter pour jamais, que son adoration pour ces trois créatures fragiles avait été aveugle et imprévoyante ?

Il est permis de le penser.

De toute évidence, elle sentait comme elle ne l’avait senti à aucun autre moment de son existence, combien elle allait les laisser abandonnées, désarmées, enfants par l’esprit alors qu’à présent elles subiraient des douleurs de femmes, et cette mère expiait son erreur par la plus affreuse des inquiétudes, la plus suppliciante des tortures de l’âme.

Ses filles ! Ses Petites Bleues bien aimées, que deviendraient-elles quand elle ne serait plus là ?…

Ce fut de la sorte qu’Huguette interpréta le langage des grands yeux noirs qui criaient si éloquemment tout ce que la parole défaillante ne pouvait articuler.

D’un élan irrésistible, elle s’écria :

— Soyez sans crainte, ma chère tante, elles seront mes sœurs !

Mme Saint-Brès lui saisit la main avec