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grand, trop mince et se voûtant déjà, une douceur profonde dans ses prunelles un peu tristes et son brun visage, à la barbe prématurément blanchie, empreint de rayonnante bonté, il se révélait, au premier abord, comme éminemment sympathique.

À côté de lui, sa femme paraissait une vivante antithèse.

Grande aussi, mais déformée par un embonpoint précoce, tout en elle déplaisait : sa gesticulation outrée, la prodigieuse volubilité de parole qui vous fatiguait à la suivre, et plus encore, peut-être, l’expression de suffisance qui tendait tous ses traits, ainsi que la malignité coupante de ses yeux d’un gris d’acier.

Avant même d’aborder Mme d’Aureilhan, elle parlait, d’une voix acide augmentant encore l’impression désagréable suggérée par cette irritante personnalité.

— Quelle chaleur, n’est-ce pas, ma tante. Alors, vous allez bien ? Mon oncle aussi ?…

— Je vous remercie, Léonie.

— Est-il vrai que cette chère Huguette nous revient ?

Mme d’Aureilhan avait des raisons personnelles de ne pas traiter le sujet ; brièvement, elle biaisa :

— Nous l’espérons… Voulez-vous prendre la peine de monter au salon ? M. d’Aureilhan attend ses hôtes.

Dans le grand salon du château, vaste pièce pompeusement décorée d’un authentique meuble Louis XV en tapisserie et bois doré qui eût demandé d’artistes restaurations, M. Hugues d’Aureilhan lisait les journaux, comme chaque matin.


C’était un homme de cinquante à cinquante-cinq ans, d’aspect délicat, au visage fin et doux. Sa personne, comme ses manières, décelait une intraduisible élégance. Il était marqué, pour ainsi dire d’un visible signe d’aristocratie.

De nature tendre et faible, plutôt timide, la tranquillité était son bien suprême, et malgré qu’il déployât une affabilité séduisante, il eût préféré le moindre charme d’intimité à cette réception quelque peu solennelle que sa seconde femme s’obstinait à donner tous les ans, à l’occasion de son anniversaire.

On causait depuis quelques minutes quand une seconde voiture parut dans l’avenue.

Mme d’Aureilhan annonça :

— Voilà ma sœur.

Cette indication eut été nécessaire pour des étrangers, tant elle ressemblait peu à l’imposante châtelaine, la femme menue et onduleuse qui, une minute après, descendit devant le perron d’une victoria luxueusement attelée.

Mme de Lavardens, la fortunée cadette de Mme d’Aureilhan, avait une figure pointue, presque toujours souriante d’un sourire fin et content de soi ; toute sa mince personne respirait une douceur vaguement mielleuse qui surprenait à côté de la froideur hautaine de son aînée.


Néanmoins, elle ne déplaisait pas ; on la sentait point méchante, rusée seulement, organisée de façon supérieure pour se mouvoir avec aisance parmi les complications de la vie.

Habillée, selon sa coutume, d’une somptueuse toilette qui fit loucher d’envie Mme Pranzac, elle opéra une entrée triomphante au bras de son fils unique qu’elle adorait, et produisait chaque fois avec une fierté nouvelle, — René, un garçon de vingt-quatre ans, l’air indifférent et ennuyé, assez bien pris dans sa taille moyenne, mais que déparait, par défaut de tenue ou de santé, cette allure molle, dé-