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Huguette se taisait, en une stupeur attristée.

À ce moment, il était impossible de même prévoir la décision ministérielle qui devait, deux ou trois ans plus tard, libérer les mariages militaires de l’obligation de la dot réglementaire, et Mlle d’Aureilhan craignait de deviner à quelle combinaison redoutable d’incertitude l’esprit chimérique de ses parentes comptait demander celle-ci.

Cette crainte obscure se réalisa aussitôt.

Mme Saint-Brès achevait :

— Puisque ces jeunes gens se conviennent, il n’y a qu’à les fiancer. Pour cela il faut se hâter de régler la question pécuniaire. Avant d’adresser une demande d’autorisation à ses supérieurs, le capitaine a besoin de savoir ce que je puis donner à Antoinette, et il importe qu’afin de le fixer, je sois moi-même exactement renseignée sur la valeur de mon Rubens… Tu ne l’ignores pas, ce tableau constitue toute notre fortune. J’avais toujours différé de le faire estimer, par répugnance à le placer entre des mains étrangères, mais tu conçois que je ne doive pas attendre davantage.

Et c’est ici, ma chère Huguette, que tu vas m’être serviable. J’ai pensé qu’en raison des relations que tu as conservées à Paris dans le monde de la peinture, tu peux mieux que personne me faciliter une expertise sérieuse et, par suite, la vente de cette toile de maître… Ah ! ma petite Huguette ajouta-t-elle naïvement, quel beau cadeau je te ferai après la réussite ! Car nous ne saurons jamais assez te remercier d’un tel concours !

Mlle d’Aureilhan eut un pâle sourire. Intérieurement, elle se sentait toute contractée de doute et d’angoisse.

Mais le courage lui manquait pour jeter la douche froide de ce doute et de cette angoisse sur tant d’espérances ailées. Il serait toujours temps d’articuler les mots lamentables dont se ruinerait ce bonheur.

Et, après tout, peut-être le tableau était-il bien un Rubens, ou une autre œuvre précieuse.

— Je suis à votre disposition, ma tante, répondit-elle. Je vais écrire à mon camarade d’enfance, Guillaume Maresquel un sculpteur très répandu dans les milieux d’art. Il se chargera volontiers de faire estimer la toile. Et surtout ne me parlez pas de reconnaissance. Vous ne serez ni les unes ni les autres plus enchantées que moi si le résultat de l’expertise est conforme à vos désirs.

On l’embrassa on l’accabla de protestations affectueuses.

Pourtant, l’entrevue ne se prolongea guère. Il tardait à Mme Saint-Brès et à ses filles que Mlle d’Aureilhan allât s’acquitter de sa mission.

Cette dernière se retira donc sans tarder, incertaine comme elle ne l’avait été de sa vie, et mal à l’aise moralement, oppressée d’un mystérieux fardeau.

✽ ✽

Les jours qui suivirent s’écoulèrent dans une attente indicible.

Fidèle à sa promesse, Huguette avait tout de suite écrit à Guillaume Maresquel, et pour mieux intéresser son parent à la cause qu’elle lui confiait, elle fit des Petites Bleues et de leur mère une description touchante.

Le jeune homme répondit par le retour du courrier. Entre les lignes de sa lettre, simple et bonne enfant comme toujours, Huguette lut une émotion réelle et un profond désir de dévouement.

« Tes Petites Bleues m’intéressent plus