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de créancière, pour lui faire sentir de nouveau la pression matérielle qu’elle n’avait exercée que contre son gré, en un de ces moments où les formes acquises s’abolissent devant l’obligation de sauvegarder notre individualité.

Pour Mme d’Aureilhan il s’agissait de ne pas heurter Huguette, de se garder avec soin de tout froissement, afin que la jeune fille s’adaptât à son nouveau milieu de façon si parfaite que même la possibilité d’une décision radicale n’effleurât plus sa pensée.

Stylé sévèrement en ce sens par sa tante, René de Lavardens se résignait sans bien comprendre, et malgré la secrète impatience qui le rongeait, il avait su donner à sa cour persévérante une forme réservée et soumise point dénuée d’un certain attrait.

On le voyait moins souvent au château d’Aureilhan, et lorsqu’il y paraissait, la correction de son maintien, ses allures plutôt timides, la douceur triste de ses grands yeux de velours noir, tout en lui appelait l’indulgence et la sympathie pour le sentiment qu’il ne parvenait pas à faire partager.

Aussi, telle était inconsciemment la disposition présente d’Huguette.

Délivrée de la constante présence qui lui pesait naguère, il lui semblait respirer plus librement. Et comme pas une femme ne se fâche d’être aimée, — pourvu que l’amour qu’elle inspire se manifeste discrètement, — comme, après tout. Mlle d’Aureilhan n’était qu’une jeune fille, très clairvoyante à la vérité, mais ignorante des complexités et des détours du cœur humain, elle se défiait moins, et, touchée à son insu de l’attitude nouvelle de René, elle accueillait ce dernier d’une manière relativement cordiale.

Encouragé, persuadé du succès de sa tactique, il continuait de se soumettre en apparence, tandis que Stéphanie se frottait les mains et redoublait d’amabilité envers sa belle-fille.

Tout semblait donc pour le mieux dans la famille la plus unie.

Cependant, cette sérénité était factice et précaire.

Un matin, on vint chercher Huguette en toute hâte de la part de Mme Saint-Brès, qui avait une communication urgente à lui adresser.

Surprise, la jeune fille donna l’ordre à Casimir, son petit domestique, d’atteler le poney Mirliton, et se rendit aussitôt à l’appel de cette parente pour laquelle elle ressentait une étrange affection apitoyée.

Dès la grille basse du cottage, elle aperçut les frais minois des Petites Bleues derrière les carreaux givrés du rez-de-chaussée, et Françoise, la plus jeune, déserta immédiatement ce poste d’observation pour accourir au-devant d’elle.

— Ma chère, une demande en mariage ! annonça de loin la fillette en dansant.

— Pour toi ? fit Huguette souriante.

— « Pour nous ! » faillit répondre la petite, tant la perspective entrevue incarnait l’avenir de la tendre nichée, de cette mère et de ses trois enfants qui se serraient les unes contre les autres, peureuses en face de l’existence inconnue.

Françoise se reprit, et très grave, un peu froissée :

— On pourrait me demander aussi… Il y a bien des jeunes filles qui marient à seize ans et je les aurai bientôt… Mais enfin, c’est pour Antoinette.

Celle-ci arrivait, à son tour.

Avec une effusion éloquente, elle embrassa Huguette qui descendait de voiture, puis répéta d’un air d’extase :

— Oui, ma chère, un mariage pour moi ! Avec un officier !…