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le parc, tout à l’heure, avait imposé silence à l’impérieuse Stéphanie, vidons la question, s’il vous plaît, afin de n’avoir plus à y toucher… J’ai été et je resterai gravement blessée de l’inqualifiable procédé dont j’ai été l’objet… Désormais, je vous apporterai les lettres de Guillaume et toute ma correspondance, pour peu que vous le souhaitiez… Mais je veux qu’on sache bien que, si je consens à vivre en bonne intelligence, j’entends n’être astreinte à aucun contrôle humiliant, hors le vôtre qui est absolument légitime ; que je ne tolérerai aucun essai de tyrannie, aucune querelle, aucune piqûre de quelque sorte qu’elle soit… Sinon… si je ne jouis pas dans cette maison de la position indépendante qui doit être la mienne, de la confiance absolue que je mérite, je la quitterai dès ma majorité qui n’est pas éloignée… Je retournerai à Paris près de Charlotte Fresnault, près de ceux qui me connaissent et me comprennent… Je suis capable de gagner ma vie, et d’ailleurs, je possède de quoi ne pas manquer du nécessaire… Voilà ce que je tenais à établir. Je n’y reviendrai plus… Et pardonnez-moi, cher père, la peine que je vous fais, termina-t- elle d’une voix qui se fêlait un peu.

En effet, tandis qu’Huguette parlait avec cette rigidité qui dégage de l’implacable, le fin visage de M. d’Auredhan s’était profondément altéré.

Il se leva, ses énergies éparses galvanisées par une décision qui l’atteignait au plus sensible de son cœur.

D’un mouvement de tendresse infinie, il réunit les deux mains de sa fille dans les siennes, qu’un léger tremblement secouait.

— Mon enfant chérie, tu continueras, comme par le passé, à recevoir et à envoyer toutes les lettres que tu voudras, et dont je refuse absolument de m’occuper, sûr que tu ne feras jamais rien qui ne soit plein d’honneur, digne de toi enfin. Si tes amis te manquent, les portes du château leur sont ouvertes à deux battants… Tu es ici chez toi, libre de recevoir qui te plaît, et personne ne te contristera, je m’en porte garant… Mais dis-moi… dis-moi que tu me resteras ?…

Quelle angoisse éperdue vibrait dans cette question palpitante, dans l’organe qui se cassait, affolé, en face d’une atroce perspective d’abandon et de solitude !

Remuée jusqu’en ses dernières fibres, Huguette se jeta sur la poitrine de M. d’Aureilhan, cacha sa tête contre l’épaule paternelle d’un tumultueux élan de gratitude et de promesse.

Et deux chaudes larmes coulèrent des yeux du père, roulant comme deux perles précieuses au long de l’admirable chevelure d’or rose de la jeune fille.

La dure figure de Mme d’Aureilhan s’était encore durcie aux paroles de son mari.

Cette confirmation autorisée des droits d’Huguette la jetait hors d’elle.

La tendre étreinte qui rapprochait spontanément le père et la fille comme un pacte d’indissoluble alliance, achevait de l’accabler de l’âpre certitude qu’elle était vaincue.

Tous les traits contractés, elle marcha vers la porte et sortit.


V


Le temps passait.

M. d’Aureilhan enchanté remarquait dans les rapports de sa femme et de sa fille une bonne grâce, une sorte de souplesse qui parachevait leurs correctes relations d’avant.

Huguette, en effet, était trop foncièrement bonne et délicate pour persister vis-à-vis de sa belle-mère dans le rôle odieux