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depuis sa dernière lettre, à lui et à leurs connaissances communes.

Il terminait par un thème tout de suite senti également accoutumé, en lui parlant de ses travaux, de la difficulté croissante qu’il y avait « à gagner son pauvre pain ».

Il était impossible de découvrir en ces simples lignes la plus infime trace de sentimentalité, d’interpréter aucune de ces phrases claires comme une allusion à un passé de tendresse ou à un avenir d’espérances.

Pas une obscurité, pas un sous-entendu ; rien que la plus franche amitié, manifestée en une forme irréprochable, quoique bonne enfant.

Gagné par cette humoristique gaieté de Parisien doublé d’un incorrigible rapin, M. d’Aureilhan ne pouvait s’empêcher de sourire et se rassérénait tout en lisant.

— Elle est charmante, cette lettre, déclara-t-il quand il eut achevé, et pas compromettante pour deux sous ! J’en étais sûr, d’ailleurs… Votre sollicitude, Stéphanie, s’est montrée trop ombrageuse, ajouta-t-il en se tournant vers sa femme, qui s’inclina sèchement.

Au fond, elle était désemparée à l’extrême, ballottée entre mille sensations contradictoires qui la laissaient à la fois ravie, étonnée et furieuse, — ravie de constater que l’obstacle redouté n’existait pas, — étonnée d’avoir pu se tromper et furieuse d’avoir fait une aussi grossière gaffe.

M. d’Aureilhan revenait à sa fille.

— Il ne faut pas en vouloir à ta belle-mère, ma chérie, dit-il, conciliant. Son intention était excellente… En province, vois-tu, nous avons des idées d’un autre âge, sur ces choses-là… Et nous avons raison, parce que nos fillettes ne sont pas préparées à la lutte, qu’elles ne savent rien de l’humanité et de l’existence et que ce qui est parfaitement inoffensif pour toi serait on ne peut plus dangereux pour elles… Te représentes-tu une quelconque Petite Bleue — elles sont légion au moral, les Petites Bleues ! — en libre correspondance avec un beau jeune homme ? Elle en perdrait le boire et le manger, la pauvrette !… Le seul tort de Stéphanie a été de ne pas songer à établir la différence… En réalité, dans cette affaire, il n’y a pas de quoi fouetter un chat… Allons, embrassez-vous et que ce soit fini…

Il riait, espérant les avoir convaincues l’une et l’autre.

De fait, la physionomie de Mme d’Aureilhan se détendait.

Bien que son amour-propre en souffrit, elle avait l’habileté de préférer cette réconciliation, après tout honorable, à un nouvel éclat qui eût irrémédiablement compromis son plan, dont le succès, — elle le découvrait avec bonheur, — n’était point menacé par Guillaume Maresquel.

Dans ces conditions, il n’y avait qu’à temporiser, « travailler » séparément René et Huguette pour les amener à triompher, même à leur insu, de l’étrange incompatibilité qui les séparait.

Avec la foudroyante rapidité d’éclair de la pensée, ces résolutions s’inscrivaient dans son esprit précis.

Déjà, elle s’avançait vers Huguette, la main tendue.

Mais, prodigieusement mortifiée, elle n’acheva pas ce geste, que Mlle d’Aureilhan semblait ne pas voir.

La jeune fille ne riait pas, elle. La minute se révélait décisive à son caractère épris de situations nettes.

Il ne s’agissait pour elle de rien moins que de préserver à l’avenir sa liberté de toute atteinte offensante, et de fixer définitivement ses rapports avec sa belle-mère.

— Pardon, mon père, articula-t-elle avec la froideur impressionnante qui, dans