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voulue en soumission, en fureur impuissante d’un adversaire terrassé.

Elle attendit, presque triomphante, s’applaudissant du succès de sa tactique brutale.

Car c’était à ce dernier parti, qui avait au moins le mérite de la franchise, qu’après mûres réflexions, s’était rangée cette femme tout d’une pièce.

Une autre, — sa sœur peut-être, — eût plus ou moins habilement intercepté la lettre qui devait lui apporter la certitude qu’elle cherchait.

Stéphanie, elle, audacieusement, carrément, s’emparait de cette lettre.

Et l’action accomplie, elle se retrouvait tranquille, satisfaite d’une manifestation si conforme à sa nature, qui ne s’abaissait à ruser que sous la pression des circonstances et en ressentait une humiliation profonde.

— Madame, recommençait Huguette qui parvenait à s’exprimer avec calme, grâce à une surhumaine tension d’énergie, veuillez me rendre cette lettre.

— Vous dites ? interrogea Mme d’Aureilhan ironique.

Une flamme monta aux joues de la jeune fille qui, jusque-là, avaient gardé leur ton d’ivoire.

Elle était de ces âmes qui ne supportent pas d’être bravées.

Sa voix s’éleva d’une note.

— Je dis une seconde fois, ce que je ne répéterai pas une troisième. Veuillez me rendre cette lettre.

Mme d’Aureilhan la toisa :

— Je vous la rendrai, si bon me semble, quand j’en aurai pris connaissance…

Déjà ses doigts s’attaquaient à la partie gommée de l’enveloppe.

Elle s’arrêta, dominée, quoi qu’elle en eût, par le fluide volontaire qui s échappait des prunelles étincelantes d’Huguette.

La jeune fille s’érigeait devant sa belle-mère comme une vivante statue, grandie d’indignation, belle de haine enfin librement épanchée.

— Je vous défends de la lire, entendez-vous ! Vous n’en avez pas le droit !

— Vous vous trompez, mon enfant, expliqua Mme d’Aureilhan sentant que la situation se compliquait. J’estime que cette correspondance suivie avec un jeune homme est sans doute dangereuse pour vous, et, en tout cas, incorrecte, puisqu’elle ne reçoit aucune contrôle. Et comme je remplace votre mère, je…

Huguette l’interrompit, d’un intraduisible cri de révolte :

— Non, vous ne remplacez pas ma mère ! Il faudrait pour cela que mon cœur y consentît… Vous n’êtes qu’une étrangère que j’ai subie d’abord, que j’accepte maintenant, par tendresse, par respect pour mon père, dans cette maison qui m’appartient

Ce fut le tour de Mme d’Aureilhan de reculer et de blêmir.

— Huguette ! s’exclama-t-elle, d’une voix défaillante.

La jeune fille constatait sa victoire.

Et comme elle traversait une de ces heures où toute générosité déserte notre âme trop âprement ulcérée, elle s’empressa d’user de ses avantages :

— Je vous confirme, madame, prononça-t-elle avec une froideur tragique, que je suis ici chez moi et que je prétends n’y être pas insultée, car de pareils soupçons, vis-à-vis de la créature loyale et inattaquable que je suis, constituent une véritable insulte. Je ne reconnais qu’à mon père le droit d’exercer un contrôle sur ma conduite, et de lire mes lettres, s’il le juge à propos. Nous allons donc lui porter cel-