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Fidèle à l’habitude contractée dans les premiers temps, où elle espérait avec une tendresse nostalgique toutes les chères lettres qui lui rendaient un peu de la vie et des affections qu’elle venait de quitter, Huguette était allée dans le fond du parc attendre le facteur.

Huguette s’était à peine assise en ce lieu familier qu’elle éprouva un court étonnement de voir arriver sa belle-mère, qui s’installa sans plus de façon à ses côtés.

Puis, elle se dit que Mme d’Aureilhan attendait comme elle-même quelque lettre qu’il lui tardait de parcourir, et, cordiale, elle engagea la conversation.

L’impérieuse Stéphanie eut besoin d’un réel effort de volonté pour répondre avec un naturel apparent.

Au bout de quelques instants, un pas lourd fit crier au dehors le gravier de la route.

— Voilà le facteur ! annonça Huguette joyeuse.

Elle se leva et marcha vers la petite porte qui s’ouvrit devant elle, encadrant une silhouette épaisse vêtue de la blouse bleue à collet rouge et surmontée de la casquette en toile cirée qui caractérisent dans nos campagnes l’humble messager des douleurs et des espérances humaines.

Mme d’Aureilhan s’était également levée.

Et raide, automatique un peu, elle suivait la jeune fille.

— Bonjour, madame et mademoiselle ! prononça la voix joviale du vieux facteur, qui se trouvait comme chez lui dans toutes ces maisons où il pénétrait quotidiennement depuis vingt-cinq ans.

— Bonjour, père Bernard ! répondirent ensemble Mme d’Aureilhan et Huguette, celle-ci gaîment, celle-là d’un organe contenu, assourdi par le tumulte de la tourmente intérieure.

— Je n’ai rien pour madame, reprenait le facteur. Mais, comme tous les lundis, j’ai la lettre de Paris, pour mademoiselle…

Huguette tendait la main, souriante, amusée de ce roman que bâtissait à coup sûr le brave Bernadou.

Lorsque, à côté d’elle, Mme d’Aureilhan se dressa de toute sa hauteur.

— C’est à moi que vous devez remettre cette lettre, Bernadou, articula-t-elle avec son autorité qui n’admettait pas de réplique.

Et d’un mouvement plus prompt que la pensée elle enleva l’enveloppe au facteur saisi, la gardant entre ses doigts convulsifs qui se crispaient dessus comme sur une proie.

Huguette avait reculé, toute pâle et sans voix. Bernadou les considéra alternativement avec une stupeur intense, et peu désireux d’assister à la scène de famille qui allait éclater, il se sauva à grandes enjambées.

Cependant, Huguette prenait conscience de cette chose inouïe qui venait de se produire.

Elle s’avança, frémissante.

— Madame ! dit-elle seulement, et son timbre d’or vibrait d’intonations indignées, tandis que la douce lumière de ses prunelles se changeait en éclairs.

— Eh bien ! quoi ? fit Mme d’Aureilhan provocante.

Une seconde, les deux femmes se défièrent du regard. Huguette se taisait encore, se forçait à ne pas crier tout de suite sa colère, parce qu’elle redoutait les éclats de la violence qui se cachait d’habitude, domptée par une discipline sévère, sous une attrayante douceur.

Mme d’Aureilhan se trompa à cette attitude dont elle interpréta la modération