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Mme de Lavardens de son même ton finaud. Je soupçonne, voilà tout…

— Mais, pour Dieu ! que soupçonnes-tu ? clama Stéphanie exaspérée. Tu es insupportable ! Il faut toujours t’arracher les mots !… Aie donc le courage de tes opinions, une bonne fois ! Si quelque chose peut nous sauver, c’est de regarder les difficultés en face.

— Eh bien ! reprit Mme de Lavardens, comment se fait-il que tu n’aies pas pensé à ce qu’il y a d’extraordinaire, d’anormal, dans l’attitude d’Huguette vis-à-vis de René ?… Il a tant de succès auprès des jeunes filles ! Du moment que celle-ci paraît le repousser, c’est…

— Achève ! C’est…

— Qu’elle est occupée d’un autre…

Mme d’Aureilhan tressaillit.

— Tu dois avoir raison ! Il est inouï que je n’y aie pas songé… Mais qui, qui ?… Je ne vois personne, par ici… Il n’y a que ce petit Quéroy qu’elle a rencontré quelque fois et avec qui elle cause volontiers, parce que seul il sait lui parler de choses intéressantes… De là à l’épouser, il y a tout un monde… Ce n’est pas un parti pour elle…

Mme de Lavardens eut un mouvements d’épaules :

— Eh ! il ne s’agit pas de M. Jean Quéroy, ni des gens d’ici… Ta belle-fille n’a-t-elle pas laissé des amis à Paris, notamment un camarade d’enfance avec lequel elle entretient, si je ne me trompe, une correspondance assidue ?…

Brusquement illuminée, Mme d’Aureilhan frappa du pied le parquet :

— C’est juste ! Ce Guillaume Maresquel, le pupille du vieux peintre… Huguette et lui s’écrivent chaque semaine… Pourtant, il n’a pas le sou…

— Tu ignores tout du caractère de ta belle-fille si tu juges que ce serait la une cause de nature à lui faire éliminer un prétendant, rétorqua Mme de Lavardens de son air rusé. D’ailleurs, ils peuvent avoir formé le projet de se marier plus tard quand l’argent sera venu avec la gloire… C’est ainsi que l’on raisonne dans ces milieux artistes, acheva-t-elle sérieusement, comme si elle eût passé toute sa vie dans ces milieux décriés.

— Alors, si tu ne te trompes pas, murmura rêveusement Mme d’Aureilhan, leurs lettres doivent en être pleines de ces sentiments… de ce projet ?

Adélaïde se fit plus cauteleuse que jamais :

— Sans doute… Il importerait de s’en assurer… Au surplus ce n’est pas très convenable, cette correspondance avec un jeune homme…

Elle se leva pour partir sur ce dernier trait.

— C’est bien ! promit énergiquement Mme d’Aureilhan en la conduisant. J’en aurai le cœur net. Et si je constate ce que nous craignons, fie-toi à moi pour y mettre bon ordre !

Germain se tenait sur le perron, prêt à accompagner la visiteuse à sa voiture. Il entendit.

« Allons, pensa le vieux domestique qui avait servi jadis dans l’infanterie de marine, il va y avoir un abordage sans tarder !… »

✽ ✽

La psychologie de Germain ne s’égarait point.

« L’abordage » eut lieu deux jours après.

C’était le lundi qu’Huguette recevait ordinairement la missive hebdomadaire de Guillaume Maresquel, qui profitait du loisir dominical pour écrire plus longuement à son amie d’enfance.