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subsisteraient d’une modique pension alimentaire.

Mme d’Aureilhan se sentait prête à tout plutôt que de subir une telle déchéance.

À force d’y penser, elle se flattait d’avoir découvert l’unique solution de cette affaire inextricable.

Son plan consistait tout simplement à marier Huguette avec son neveu, René de Lavardens.

Ce dernier ne saurait être un gendre exigeant en matière de comptes ; pourvu lui-même d’une confortable résidence, il ne songerait pas à accaparer le château du vivant de ses actuels occupants.

Ainsi, les choses resteraient en l’état ; M. et Mme d’Aureilhan conserveraient la jouissance du décor de vie qui leur était cher, et la première récolte abondante suffirait à dégrever le reste du domaine.

Dès longtemps, Stéphanie avait amené sa sœur à partager ses vues au sujet de cette union.

La combinaison n’avait rien que de rationnel ; les deux sœurs se croyaient sûres de la faire accepter par Huguette.

Il fallut en rabattre.

D’abord, une surprise leur vint de ce que les frais de séduction du beau René n’aboutissaient pas à un plus prompt résultat.

Et maintenant, Mme d’Aureilhan commençait à craindre que le mariage organisé par elle ne ressemblât à celui d’Arlequin, auquel ne manquait que le consentement de la future.

Le dernier incident la fortifiait dans cette appréhension, pour elle infiniment cruelle.

Huguette n’aimait pas René.

Pis encore, elle ne ressentait pas à son endroit cette nuance de tendre sympathie qui précède un sentiment plus vif, comme l’aurore frissonnante précède le jour.

Une femme, en effet, peut heurter, même violemment, celui qu’elle aime ; elle ne se moque pas de lui ; surtout, en aucun cas, elle ne s’avise de le rendre ridicule en public.

À ce trait, Mme d’Aureilhan connaissait que le cœur d’Huguette n’était pas atteint, pas même effleuré, que peut-être il ne le serait jamais…

Et les redoutables conséquences d’un tel échec assiégeant sa pensée, elle était envahie d’un désespoir farouche, allié à une volonté exacerbée.

Il fallait qu’Huguette épousât René.

Mais les deux sœurs avaient beau tourner et retourner ce problème épineux, aucune solution raisonnable ne s’offrait, aucune mesure énergique capable de réduire ou de persuader l’indépendante fille de M. d’Aureilhan.

À cette époque de merveilleuses découvertes, nul savant, hélas ! n’a trouvé le moyen d’infuser l’amour en un cœur qui refuse de l’éprouver !

— Bah ! conclut à la fin de cette entrevue Mme de Lavardens qui ne pouvait se résoudre à admettre la défaite de son irrésistible fils, il doit y avoir anguille sous roche…

Mme d’Aureilhan lui saisit le bras.

— Qu’entends-tu par là ? demanda-t-elle vivement.

Adélaïde eut un sourire de doucereuse finesse :

— Voyons, Stéphanie, toi si pénétrante, tu ne t’en doutes pas un peu ?

— Ah ! si je savais où gît l’obstacle ! s’écria Mme d’Aureilhan d’une voix grinçante d’amertume. Allons, parle ! ajouta-t-elle avec son impatience autoritaire. Les réticences ne sont pas de mise entre nous. Que veux-tu m’apprendre ?

— Rien que tu ne connaisses, repartit