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qui avait le travers d’esprit inhérent à toute nullité intellectuelle de toujours paraître savoir. Un grand vignoble, qui escalade le coteau près de la route… Je vois ça…

Un rire inextinguible secouait M. d Aureilhan et M. Gontaud, gagnait le notaire, se communiquait au grave Jean Quéroy, pendant qu’Huguette se renversait dans un fauteuil de jardin, en proie à une hilarité folle.

René les regardait avec stupéfaction, incapable de percevoir le comique que dégageait la sérénité avec laquelle il s’obstinait à prendre une île de l’Archipel pour un cru d’Armagnac.

— Ah ! elle est bien bonne ! ne put s’empêcher de dire M. Gontaud, que ravissait ce trait d’enfant terrible.

Mme d’Aureilhan fronçait les sourcils, une rougeur de brique aux joues, mortifiée comme elle ne l’avait jamais été.

Troublée aussi, car elle se demandait, non sans confuse angoisse, pourquoi Huguette venait de se livrer à cette plaisanterie un peu cruelle.

La jeune fille ne le savait pas elle-même. Elle avait cédé à l’instinctif dédain de son esprit cultivé pour ce néant prétentieux, à l’obscur et si humain besoin de revanche vis-à-vis de ce garçon qui l’obsédait de sa présence et de sa ténacité galante.

Surtout, elle était cruelle, à son insu, par l’effet de cette irrépressible volonté intérieure qui poussera toujours une femme, même la meilleure et la plus délicate, à faire éclater l’infériorité d’un insupportable prétendant devant l’homme de son choix.

Jean Quéroy le comprit-il ?

C’est probable, car une lueur scintillante brilla dans ses prunelles qui posèrent longuement sur Huguette leur sombre douceur.

Et elle se sentit pénétrée d’une suavité inconnue.

Mme d’Aureilhan avait gardé de cet incident un mécontentement extrême.

Ses craintes, jusque-là sourdes et vagues, se faisaient aiguës et troublantes.

Elle ne pouvait plus se dissimuler que la réalisation de son fameux plan courait de graves risques.

Aussi eut-elle avec sa sœur, dès le lendemain, un entretien confidentiel, au cours duquel toutes deux examinèrent le plus rapide parti à prendre pour dénouer une situation qui se tendait et menaçait de s’éterniser.

Depuis le retour d’Huguette, leurs conciliabules étaient fréquents et se terminaient sur de sages résolutions d’atermoiements.

Cette fois, l’une comme l’autre étaient déterminées à frapper un grand coup, s’il le fallait, pour obtenir une solution sinon immédiate, du moins prochaine, et naturellement conforme à leurs désirs.

Les deux sœurs avaient ce trait commun de caractère, — impérieux et violent chez Stéphanie d’Aureilhan, doucereux et dissimulé chez Adélaïde de Lavardens, — de croire que les événements devaient obéir à leur volonté.

Mme d’Aureilhan était en proie à une pesante inquiétude et le mariage possible d’Huguette lui apparaissait un danger menaçant et immédiat.

À cette occasion, il faudrait rendre à sa belle-fille la fortune qui lui appartenait, et c’était, dans les circonstances présentes, la dépossession de l’orgueilleuse Stéphanie, la nécessité humiliante de vivre au château dans la dépendance du nouveau ménage, ou celle, qu’elle se refusait même à envisager, de se retirer avec son mari en quelque humble maison, où tous deux