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d’Aureilhan, une flamme passionnée au coin de ses yeux noirs.

Conquis, plus qu’il ne le savait lui-même, il risqua un compliment.

— Mon Dieu ! Huguette, dit-il, traduisant l’impression générale, que vous êtes jolie, aujourd’hui !

Elle s’inclina en riant, moqueuse :

— Permettez-moi de vous répondre ce que répond en pareil cas l’héroïne d’une pièce célèbre : « — Merci pour les autres jours ! »

Il se mordit les lèvres jusqu’au sang.

C’était constamment ainsi !

Cette friponne d’Huguette avait un talent endiablé pour dénaturer ses plus louables intentions et faire tourner à sa confusion ce qui eût dû le servir.

Les assistants riaient ; M. d’Aureilhan et M. Pranzac sans malice, au rebours de Léonie, laquelle étant, comme on sait, de ces bonnes âmes dont on dit vulgairement qu’elles ne demandent que plaies et bosses, se frottait les mains avec jubilation.

Mme de Lavardens restait pincée ; sa sœur ouvrait la bouche afin d’expliquer favorablement les choses, lorsque l’arrivée d’une voiture produisit la diversion souhaitée.

C’était le tonneau de M. Gontaud ; ce dernier mit pied à terre, accompagné de Jean Quéroy.

Cette visite suscita chez les châtelains des exclamations charmées.

Vivement, M. d’Aureilhan, sa femme et sa fille s’avancèrent vers leur riche voisin.

Tandis que la châtelaine et son mari adressaient à M. Gontaud quelques aimables phrases de bienvenue, Huguette remarqua que le domestique de ce dernier retirait de la voiture un élégant tonnelet en bois clair et verni, qu’il remit à Germain.

Curieuse, elle s’informa :

— Qu’est-ce que c’est que ce baril de si séduisant aspect ?

M. Gontaud lui prit les mains :

— Mignonne Huguette, c’est une insignifiante gâterie de vieil ami que je vous supplie de me permettre. L’autre jour, quand vous m’avez fait l’honneur et la joie de goûter chez moi, un certain muscat de Samos vous a paru bon. C’est pourquoi j’ose vous offrir ce barillet qui en contient à peine quelques litres. Vous les boirez à ma santé, en grignotant des gâteaux…

— Comme vous êtes parfait ! murmura-t-elle émue de l’attention et de la forme rare que celle-ci revêtait. Voilà que vous encouragez ma gourmandise, à présent ! Car, c’est un pur nectar, votre muscat de Samos !

— Samos ? répéta René de Lavardens avec son indifférence ennuyée. Je ne connais pas ce cru-là ?

Une irrésistible gaminerie s’empara d’Huguette.

À de fréquentes reprises, elle avait constaté la phénoménale ignorance du jeune homme, et aux heures où le gavroche se réveillait dans sa correction accoutumée, elle succombait au plaisir mutin de lui tendre des pièges où il tombait avec une inconscience désarmante.

— Comment, dit-elle, sérieuse, mais les yeux pétillants de malice, vous ne connaissez pas Samos ? C’est un cru renommé, cependant…

— Non, répliqua René sans défiance. Est-ce loin d’ici ?

— Pas très, fit-elle, se contenant énergiquement pour ne point pouffer. Du côté de Condom, n’est-ce pas, ma cousine ?

— Certainement ! assura Mme Pranzac, qui enfouit aussitôt le bas de son visage dans son mouchoir.

— Ah ! oui, repartit le jeune Lavardens