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prit et de son cœur, elle les consacre à courir les mansardes parisiennes, soulageant chaque jour plusieurs misères nouvelles. Et c’est de cette femme qui a condensé en elle tout ce que l’âme humaine porte de plus miséricordieux et de plus beau, que vous parlez avec cette légèreté inepte et coupable ! Tenez, vous me faites pitié !

Belle d’indignation, elle marcha vers la porte et sortit laissant René atterré.

— Eh bien ! en voilà une algarade ! bégaya-t-il.

— Absolument méritée ! articula Mme d’Aureilhan pourpre de colère. A-t-on jamais vu heurter si sottement les idées et les affections de quelqu’un ?… Si c’est comme cela que tu t’y prends pour plaire à Huguette !… Mon pauvre garçon, j’ai bien peur que tu ne sois qu’un imbécile !…

Et, exaspérée, brusquement elle lui tourna le dos.

Ce soir-là encore, Huguette, une fois seule chez elle, se sentit submergée de détresse.

Mais, l’excès de cette douleur évoqua un rapprochement.

Avec une indicible douceur, Huguette se rappela. Elle entendit de nouveau la voix mâle qui, cet après-midi, disait éloquemment pourquoi il faut qu’on soit quelquefois un intrus parmi les siens.

Elle revit le tendre rayonnement des sombres prunelles bleues.

Et elle se retrouva vaillante, fière de souffrir la noble souffrance qu’un autre avait connue.

C’était, à son insu, toute sa jeunesse qui palpitait en elle, — l’éternelle Jeunesse confiante en la vie, transportée de mystérieuse espérance.

Elle sourit, heureuse.

N’avait-elle pas un ami, désormais un frère d’âme ?

Elle s’endormit, ce divin sourire aux lèvres, d’un sommeil ineffable où son cœur veillait et chantait…


IV


Ce jour d’octobre, Huguette servait le café sur la terrasse qui régnait tout le long du château.

C’était l’automne méridional avec sa non pareille séduction et son incomparable splendeur.

Comme si elle eût participé à la joie ambiante, Huguette, alerte et gaie, s’acquittait de ses gracieuses fonctions avec un charme nouveau.

C’est que l’amour est un grand enchanteur qui transfigure tous ceux qu’il touche.

Huguette ne croyait pas aimer, — elle n’en était pas loin, — mais chaque rencontre lui prouvait qu’elle avait inspiré un de ces sentiments profonds qui sont l’orgueil d’une femme, et cette certitude suffisait à l’envelopper d’une gloire.

Les hôtes du château subissaient l’attraction de ce rayonnement sans pouvoir soupçonner la cause intime d’où il émanait.

Ils la regardaient, y compris M. et Mme d’Aureilhan, avec ce plaisir attendri qu’inspire ce qui est jeune et beau, ce qui captive le cœur en même temps que les yeux.

Ce sentiment, néanmoins, s’amoindrissait d’une restriction chez deux des personnes présentes.

Il y avait là seulement M. le notaire Pranzac et sa femme, Mme de Lavardens et René.

Tous quatre avaient « dîné » au château selon le terme accoutumé qui, dans tout le sud-ouest de la France, désigne le repas du midi.

René ne concevait pas comment Hu-