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te, attendant le retour de la jeune fille non sans secrète impatience.

— Bonjour, René. Vous êtes là depuis longtemps ?

— Je crois bien ! Je me languissais de vous, Huguette ! répondit-il d’un ton mi-plaisant, mi-sérieux, afin que celle à qui s’adressait ce provincialisme employé à dessein, pût le prendre à son gré pour une plaisanterie ou pour une déclaration.

Mais Huguette traitait tous les sentiments du beau René sur le mode léger.

— Grand bien vous fasse ! répliqua-t-elle avec une indifférence totale, tout en gravissant lestement les degrés du perron.

Vexé dans sa susceptibilité aiguë d’infaillible conquérant de cœurs féminins, René de Lavardens, malgré les récentes objurgations de sa tante, ne sut pas résister au plaisir d’une prompte revanche.

— Dites donc, Huguette, annonça-t-il comme la jeune fille pénétrait dans le salon et saluait sa belle-mère, je suis en mesure de vous donner des nouvelles de quelqu’un qui vous intéresse…

Elle le regarda avec surprise :

— Ah ! qui cela ?…

— Devinez !

— Comment devinerais-je ?

— De Mme Fresnault que je veux parler. Saviez-vous qu’elle daigne prêcher son évangile jusqu’en nos régions lointaines ?

Huguette avait légèrement tressailli. Tout au plaisir de ce qu’elle apprenait, elle ne prit pas garde à l’intonation sarcastique du jeune homme.

Une tendre joie brillait dans ses yeux.

D’une voix tremblante de tendresse émue, elle repartit :

— Chère Charlotte ! Aucun dévouement ne peut m’étonner de sa part. Aurais-je ce bonheur qu’elle vînt donner des conférences de ce côté ?

— Pas encore ! rétorqua René avec une satisfaction insolemment cruelle. Jusqu’ici ; Mme Fresnault n’a pas dépassé Bordeaux, où elle faisait avant-hier une conférence sur « l’Émancipation de la femme ». Je le sais par un de mes amis qui y était… mais nos pays ne sont pas mûrs pour ces idées subversives… L’oratrice a été consciencieusement huée. Elle s’est empressée de reprendre le train de Paris, et il est à croire qu’elle ne recommencera pas de sitôt, du moins chez nous…

Et, sans remarquer le visage d’Huguette, méconnaissable d’expression douloureuse, il acheva méchamment :

— Espérons que ce sera pour cette folle une bonne leçon !

Huguette rejeta vivement la tête en arrière, une telle fureur dans les yeux que, d’instinct, René détourna les siens.

— Qui vous a dit que Charlotte Fresnault fût une folle ? questionna-t-elle, altière.

— Mais, balbutia René, embarrassé, c’est la réputation qu’elle a… Elle paraît détraquée, exaltée…

— Pour vous, oui ! dit Huguette avec un écrasant dédain. De même que pour tous ceux dont elle dépasse la moyenne d’âme de toute sa hauteur. Savez-vous seulement ce qu’est celle que vous vous permettez de traiter de la sorte ?

— Non, répliqua-t-il d’un ton qu’il essayait de rendre dégagé ; j’ignore profondément ce que peut être une Mme Fresnault…

— C’est bien cela ! prononça Huguette de plus en plus méprisante. Alors, vous tentez de la ramener à votre mesure… Apprenez donc que Charlotte Fresnault est une créature de magnifique altruisme. Elle n’a plus rien, elle à tout donné. Elle est une admirable sœur de charité, une vraie sainte laïque. Les heures qu’elle ne passe pas dans l’École, cette maison de son es-