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Huguette laissa tomber ses mains, abandonnant les rênes sur le dos de Mirliton impatient.

— C’est charmant pour moi… Mais comme c’est flatteur pour ma famille ! s’exclama-t-elle en une consternation plaisante. Mon cher papa n’en est point, j’espère ?

— Vous savez bien, mademoiselle, répliqua Jean très grave, que je professe pour M. d’Aureilhan la plus respectueuse sympathie. Je n’aurais pas osé un parallèle qui constituerait, en ce qui le concerne, un véritable outrage. Quant aux autres, vous ne vous indignerez pas, parce que vous sentez que la comparaison est juste… que le poète a cruellement raison. Tout être d’une essence morale différente, tout novateur est parmi les siens mêmes un étranger, pis encore, un intrus que l’on dénigre, à qui on inflige les plus dures souffrances, car on ne le comprend pas. Tel est le décevant partage de l’artiste, du chercheur qui veut, par l’idée ou la découverte, orienter l’humanité vers des voies nouvelles… Tel a été, — avec quelle amertume ! — le lot de l’humble artisan de science que je suis…

… La triste vérité, c’est que, n’ayant pas réussi à trouver un emploi au sortir de l’École Centrale, je dus, à bout de ressources, me réfugier ici, dans la petite maison familiale. Je pensais rencontrer, en ce pays pour les habitants duquel mon père a héroïquement sacrifié sa vie, sinon une aide matérielle, du moins le secours moral plus précieux peut-être à ceux qui agonisent d’incertitude, d’épouvante du lendemain… Je n’entendis pas une bonne parole, je n’essuyai qu’ironie et dédain. Mes idées sur les applications nouvelles de l’électricité passèrent pour des rêves dangereux ; on décréta que j’étais un utopiste, un de ces cerveaux chimériques condamnés à l’insuccès… Sans ce bon, cet admirable Gontaud qui eut foi en moi et me permit, en me créant une position dans l’usine, d’étudier en paix, je serais mort de tristesse et de misère.

— Oh ! quel brave homme que M. Gontaud ! s’écria Huguette d’un élan. Je l’aime bien, et je le lui dirai !

Elle s’interrompit brusquement, effrayée des mots trop doux, trop tendres qui lui montaient du cœur aux lèvres.

De nouveau, elle tendait la main à Jean Quéroy.

— Le souvenir de notre rencontre me sera précieux, mademoiselle, prononça-t-il d’une voix changée, surtout s’il m’est permis de penser qu’elle m’a fourni l’occasion de vous être un peu moins inconnu, un peu moins indifférent… Vous n’aurez jamais besoin de mon dévouement ; cependant, laissez-moi vous supplier de compter sur moi… comme sur un ami…

— C’est juré ! promit Huguette d’un timbre cristallin qui voulait être dégagé et n’était qu’ému, tout simplement.

Ils se regardèrent.

Un ravissement flottait autour d’eux, dans l’air adorablement frais du soir proche, dans les arbres d’où tombaient des gazouillis d’oiseaux ensommeillés.

— Allons, fit Huguette pour rompre le charme, Marliton s’impatiente. Adieu monsieur Jean. Il faut que je retourne à ma basse-cour familiale !

Ils rirent.

Ils étaient séparés ; mais derrière eux l’écho de leur rire vibrait dans les feuillages comme une traînée de joie, un tintement de jeunesse, de douceur et d’espoir.

— Ah ! voici enfin Mlle Nouveu-Jeu ! s’exclama René de Lavardens, quand le panier d’Huguette s’arrêta au bas du perron, sur la balustrade duquel il s’était accoudé après sa conversation avec sa tan-