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verdoyant comme une image de la beauté virile.

Il s’était arrêté pour laisser passer le petit équipage et demeurait immobile, le chapeau à la main, souriant doucement, une lueur charmée en ses prunelles profondes.

Huguette pesa sur les rênes, et tandis que le petit domestique assis à l’arrière sautait à terre et venait prendre la tête du poney, elle tendit la main au jeune homme d’un geste de franche sympathie.

— Eh ! bonjour, monsieur Jean ! Quelle surprise de vous rencontrer ! Moi qui vous croyais constamment enfermé dans votre laboratoire, car, sans reproche, on ne vous voit guère… Vous avez donc pu vous arracher à vos chères expériences ?

— Je deviendrai peut-être un savant, répondit-il modestement, mais je reste ce que j’ai toujours été : un passionné coureur des bois… C’est leur grande paix, leur solitude amie qui me repose de la fatigue cérébrale, causée par mes recherches, mademoiselle Huguette, et j’avoue de bonne grâce que ces deux occupations, ces deux amours, si vous voulez, font de moi un sauvage hantant peu les salons. Pourtant, il y a progrès, je vous assure. Je me civilise…

— Vraiment ? dit Huguette en riant. Qu’était-ce donc auparavant, mon Dieu !

— Auparavant… quand vous n’étiez pas encore ici, on ne me voyait pas du tout, repartit-il, d’un accent subitement sérieux. Malgré ce charme d’accueil dont monsieur votre père a le secret, je ne paraissais jamais à Aureilhan… L’excellent Gontaud m’y mena presque de force le jour où vous arrivâtes à l’improviste… Et depuis… depuis, je l’accompagne au château chaque fois qu’il veut bien m’en prier…

Le sombre regard des prunelles bleues avait une rayonnante éloquence.

Huguette baissa les yeux ; en dépit de sa crânerie coutumière, elle était embarrassée à ne pas trouver un mot.

Son cœur battait plus vite et elle ne savait quelle joie tumultueuse et douce l’inondait…

Jean Quéroy reprenait, précipitamment, comme quelqu’un qui a peur d’avoir trop parlé :

— Et puis-je me permettre de vous demander, mademoiselle Huguette, si vous vous plaisez parmi nous ?

Elle releva ses longues paupières frangées de soie.

— Certainement, dit-elle avec une hésitation marquée, je me plais… je me plais beaucoup…

À son tour, Jean Quéroy éclata de rire, d’un rire clair et gai, qui semblait plus séduisant chez ce grand garçon sérieux.

— Est-ce que vous vous moqueriez de moi, par hasard ? interrogea Huguette, affectant un ton piqué.

Il protesta, du même air de gaieté :

— Oh ! mademoiselle, pouvez-vous supposer !… Seulement, vous avez eu, pour me certifier que vous vous acclimatez, une intonation si amusante que…

— Eh bien ?

— Que vous m’avez invinciblement rappelé un joli conte d’Andersen…

— Les contes d’Andersen sont tous jolis, répondit Huguette avec un fin sourire, il ne s’agit que d’entendre leur moralité. Quel est celui que j’ai eu l’honneur de vous suggérer ?

— Vous ne vous fâcherez pas ?

— Allons donc ! fit-elle amusée. Votre comparaison est donc à ce point impertinente ?

— Jugez-en, articula-t-il de la voix contrite particulière au coupable qui avoue. Je pensais à l’exquise histoire de ce malheureux cygne éclos dans une couvée de vulgaires canards…