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— Certainement, répondit Mme d’Aureilhan d’une voix posée. Entre.

— Il fait noir comme dans un four ici !

— Possible ! repartit Mme d’Aureilhan du même accent de calme volontaire. Nous n’en serons que plus tranquilles pour causer.

René s’asseyait en face de sa tante. Il reprit :

— Ah ! oui, à propos, nous avons à causer.

… Eh bien ! qu’y a-t-il donc d’assez important pour nécessiter cette conférence secrète ?

— Secrète, tu l’as dit, appuya Mme d’Aureilhan, car j’ai désiré profiter de l’absence d’Huguette, afin d’examiner avec toi pour quelles raisons tes affaires avancent si peu… Parce qu’il me semble que tu ne progresses pas dans les bonnes grâces ma belle-fille ? Au contraire !

Une crispation nerveuse dérangea les traits assez réguliers de René de Lavardens

— Ce n’est pas ma faute ! répliqua-t-il avec humeur. Elle est déconcertante, cette Huguette ! Et, d’ailleurs, nous sommes fort bien ensemble…

Mme d’Aureilhan haussa les épaules :

— Allons donc ! Qu’est-ce que cela signifie ? Huguette te traite cordialement, je te l’accorde, mais sa cordialité est quelconque, inférieure même à celle dont elle dispose envers d’autres, ce petit Quéroy, par exemple… Tâche de ne pas te faire distancer n’est-ce pas ?

René serra les poings :

— Ah ! oui, ce Jean Quéroy, cet ingénieur de rien… On dirait, en effet, qu’elle le regarde avec bienveillance… S’il s’avise de marcher dans mes plates-bandes, celui-là !…

Il était livide de colère contenue.

Frénétiquement jaloux par nature, il se sentait, en outre, atteint dans son ombrageuse vanité par les constations de Mme d’Aureilhan.

Elle eut un mouvement de dédain :

— Veux-tu que je te dise ? tu ne sais pas t’y prendre avec Huguette. Dans le milieu de science où elle a vécu, dans l’atelier de ce peintre célèbre qu’était son grand-père, elle a connu les hommes les plus remarquables… Ce n’est donc pas une de ces jeunes filles que l’on puisse aisément éblouir, une naïve Petite Bleue qu’un regard de toi plonge en extase… Son jugement est formé et difficile… Tu n’as qu’une ressource : c’est de te faire aimer… Ne t’amuse plus à ce rôle de camaraderie galante qui ne t’a guère réussi jusqu’ici, montre-toi épris… sois tendre… sentimental…

Tout le grand jeu, enfin ! lança avec un cynique sourire, René qui se mordait les lèvres de dépit.

— Le grand jeu, s’il le faut, ordonna Mme d’Aureilhan raidie de sécheresse hautaine : N’oublie pas qu’il faut absolument que tu plaises à Huguette !

— Bah ! répondit-il en un retour de son invincible fatuité, je lui plairai, je lui plais… Nous sommes bons camarades, elle a de l’amitié pour moi, et, entre une jeune personne de son âge et un garçon du mien, l’amitié n’a jamais fait que servir de préambule à un sentiment plus ardent… Vous n’allez pas m’enseigner comment on mène à bien ces entreprises-là, je suppose, ma tante ?

Il se redressait, désinvolte et félin, une flamme au coin de ses yeux de velours noir, réellement redoutable de volonté passionnée d’une sorte de séduction brutale et câline à la fois, dont Mme d’Aureilhan elle-même subie le magnétique pouvoir.

— Grand vainqueur, va ! conclut-elle en lui allongeant sur la joue une tape amicale.