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sa petite-fille à Mme Charlotte Fresnault.

Celle-ci avait été l’amie de jeunesse et comme la sœur d’élection de Suzanne.

Âme admirable et étrange, profondément incompréhensible au vulgaire, dévorée d’un besoin de dévouement qui allait parfois jusqu’à l’aberration, Charlotte fut la fondatrice de la première école professionnelle pour jeunes filles. Éprouvée en temps que femme par d’affreux malheurs intimes, elle rêvait la rénovation de la condition féminine, et l’activité fougueuse qu’elle dépensait au service de ses idées contribua puissamment au mouvement intellectuel de la fin du siècle.

C’était donc entre cette créature si peu banale et un aïeul passionnément artiste qu’Huguette devait grandir et s’initier à la science de vivre.

De bonne heure, cette enfant aux aristocratiques attaches pratiqua l’humilité du travail et de la lutte par abnégation filiale.

Car, au déclin de son existence presque glorieuse, le vieux peintre Maresquel connut les heures épouvantablement dures de la misère et de l’oubli.

Généreux et prodigue, comme tous ses pareils, il ne pensait guère à l’avenir, à la pénombre de l’âge qui semblait si lointaine.

Après s’être dépouillé, pour doter sa fille de tout l’argent gagné, il vécut au jour le jour de ses gains considérables, croyant, le pauvre artiste, que la notoriété et le talent ne le trahiraient jamais.

Et un moment vint où sa vue baissa, où la main tremblante n’exécuta plus ce que concevait le cerveau toujours génial.

Il eût été réduit au plus absolu dénuement sans l’assistance de ceux qu’il appelait ses deux enfants : Huguette et un neveu orphelin recueilli après le mariage de Suzanne, Guillaume Maresquel, un beau garçon doublé d’une brave cœur.

Par malheur, ce dernier, sculpteur promis à la réussite qui vient avec le temps et le labeur acharné, avait pour l’instant bien de la peine à gagner son propre pain. Dès qu’une commande imprévue avait empli son escarcelle lamentablement plate, il accourait la vider entre les mains de celui auquel il devait d’être aussi un artiste, sort qu’il estimait supérieur à toutes les destinées humaines, mais de telles aubaines étaient rares, et, par suite, son aide incertaine et intermittente.

Restait Huguette, qui ne pouvait compter que sur elle-même, c’est-à-dire sur son travail.

Elle n’avait pas, en effet, la disposition de la modeste fortune de sa mère, dont les revenus demeuraient en la possession de M. d’Aureilhan, son tuteur naturel et légal.

Quant à Bertrand Maresquel, il eût préféré mourir de faim que de laisser soupçonner sa détresse à son gendre avec lequel il avait rompu tous rapports depuis le second mariage de celui-ci.

Huguette fit donc des prodiges d’héroïsme pour soutenir son grand-père et lui assurer une quiétude relative.

À seize ans, ayant déjà mené à bien de brillantes études, qu’elle poursuivait encore sans se lasser, elle obtint de Charlotte Fresnault, radieuse de voir son élève chéri marcher dans cette voie d’altruisme et de sacrifice, de prendre la place d’un des professeurs de l’École, et cette jeune créature fut l’éducatrice même, celle qui se donne corps et âme à la plus noble et la plus difficile des tâches.

Non contente de cette occupation dont la rémunération modique permettait à l’aïeul de ne pas manquer du nécessaire, elle donna des leçons au dehors ; tandis