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à force de tendresse naïve, ne soit point trompée, et qu’il se rencontre enfin, désintéressée et pur, l’amour sauveur qu’appellent ces petits cœurs affamés.

Selon le vœu d’Huguette et de Jean, leur mariage eut lieu dans la plus stricte intimité.

La famille y assista seule ; nul ténor célèbre ne lança sous les voûtes de la vieille église de coûteuses vocalises, et il n’y eut d’autre musique que la chanson des cloches, si chère à leur cœur, qui leur avait murmuré déjà un inoubliable soir, le pensif poème des choses éternelles.

Un déjeuner très simple réunit ensuite ces quelques personnes au château, que M. et Mme d’Aureilhan quitteraient peu de jours après pour leur nouvelle résidence.

Au dessert, M. Gontaud, premier témoin de la mariée, porta un toast ému à la félicité des deux jeunes gens qui étaient un peu ses enfants, et on se sépara sans autres compliments convenus, sans aucune de ces formules banales qui déshonorent les meilleurs souvenirs.

Le lendemain, Huguette et Jean s’envoleraient vers quelqu’un de ces pays de lumière où les amoureux aiment à ensoleiller leur rêve.

Pour le moment, l’ingénieur tenait, comme on tient à accomplir un pèlerinage sacré, à emmener d’abord la jeune femme dans la modeste maison que tous deux habiteraient désormais, et où son père et sa mère avaient vécu, eux aussi, les mêmes délicieuses minutes des premières tendresses.

Ils ne s’arrêtèrent point dans les pièces du rez-de-chaussée, que la puérilité jolie de leur jeune ménage avait installées suivant les plus récentes prescriptions de la mode et du confort.

Ils gagnèrent le premier et unique étage, réservé aux intimités dont le vulgaire ne franchit point le seuil.

Là était une chambre aux meubles authentiquement anciens ; le faste n’y était jamais entré, mais une douceur familiale y flottait et y avait condensé une atmosphère spéciale, saturée de souvenirs, de ces sentiments que le cœur éprouve ineffablement et n’exprimera jamais.

Près de la fenêtre ouverte, un vénérable fauteuil en tapisserie érigeait son dossier droit, un peu fané par le temps.

On sentait que c’était là sa place immuable depuis bien des années, et qu’une pensée filiale se plaisait à y faire revivre la chère présence envolée.

— Huguette, dit Jean d’une voix qui tremblait un peu, voici le fauteuil de ma mère. Elle s’y asseyait pour me prendre sur ses genoux quand j’étais tout petit… C’est votre cher visage qui m’y sourira maintenant…

Il l’y conduisit ; elle y prit place avec une gravité tendre, le rayonnement indicible de la femme investie de la seule royauté qui ne lui ait jamais été contestée : celle du foyer.

Silencieux, ils regardèrent au dehors.

Le soir descendait sur la campagne ; les replis des vallons s’enveloppaient de diaphanes voiles bleus.

En face, au flanc du coteau qu’illuminaient les rayons mourants du couchant, se dressait la masse imposante du château d’Aureilhan, et un peu plus loin, baignées d’un rose irréel, les luxueuses constructions de l’habitation de M. Gontaud couronnaient ce prestigieux décor d’une splendeur de palais de féerie.

D’un geste ample, Jean les montra à sa femme.

— Huguette, voyez les deux demeures que vous avez dédaignées pour moi : le château des aïeux que vous eussiez pu gar-