Page:Junka - Mademoiselle Nouveau Jeu, paru dans la Revue populaire, Montréal, janvier 1919.pdf/113

Cette page a été validée par deux contributeurs.

me qui devait enchanter ses derniers jours, le chaud rayon dont se réconforterait la vieillesse proche.

Et comme elle n’estimait vraiment, au fond d’elle-même, que ceux en qui elle connaissait une force morale capable de tenir son immense orgueil en échec, il était également permis d’espérer, — Huguette ayant fait ses preuves, — que de telles dispositions seraient durables chez l’autoritaire belle-mère qui deviendrait sans doute, à l’exemple de tant d’autres individualités farouches, la plus faible des grand’mères.

Tout était ainsi réglé pour la plus entière paix de son cœur, Huguette eut enfin le droit très doux de penser à réaliser son bonheur.

Elle considéra qu’auparavant un dernier devoir lui restait à remplir.

L’infinie mansuétude des grandes félicités intérieures l’inondait ; elle ne voulait laisser derrière elle aucune amertume.

C’est pourquoi elle eut un sérieux et confidentiel entretien avec René de Lavardens. En lui renouvelant ses regrets d’une scène un peu vive, elle lui expliqua, cette fois avec une persuasive douceur, pour quelles raisons de l’âme elle ne l’avait point aimé. D’un geste empreint de toute sa noblesse personnelle, elle montra le chemin de vérité ; d’une voix qui remuait les fibres endormies, elle fit tomber sur cette âme d’enfant gâté, plus faussée par sa direction initiale, que réellement corrompue, la bienfaisante rosée des paroles jamais entendues qui exaltent au vouloir d’une moralité plus haute.

René fut profondément troublé. Ce n’était pas l’inepte adulation de sa mère qui avait pu lui ouvrir de semblables horizons.

Depuis qu’il souffrait dans ce qui demeurait en lui de bon, il devenait accessible à des compréhensions meilleures. Il avait aimé Huguette d’un amour irritable et mesquin, mais unique et sincère.

Tout être capable d’un sentiment sincère doit un jour se sauver de lui-même.

Sans fatuité ridicule, Mlle d’Aureilhan pouvait croire que ses paroles ne seraient pas perdues, qu’une heure sonnerait où le germe de bon grain qu’elle avait jeté lèverait parmi les folles germinations de l’ivraie et s’épanouirait en une humble fleur de perfectible humanité.

Il n’y avait donc plus que les Petites Bleues qui fussent livrées à la mélancolique incertitude de leur sort.

Mais, contrairement à ce qu’il était naturel de craindre, elles ne se sentaient pas tristes.

Ces privilégiées du rêve avaient en elles une source intarissable d’espérance.

Et pour elles, maintenant, s’ébauchaient de nouvelles et radieuses perspectives.

Tous ces mariages proches, après les avoir accablées de tendre nostalgie, les réjouissaient comme des occasions inespérées, des portes imprévues ouvertes aux faveurs du destin.

N’allait-il pas arriver des légions de pimpants militaires et de sympathiques marins pour la double union de Maurice et de Luc, que tante Hortense entendait célébrer avec une pompe sans exemple dans le pays ?

Ce serait extraordinaire fatalité si, parmi cette foule fringante, Antoinette et Françoise ne découvraient point le héros que portait depuis qu’elles savaient penser leur imagination candide.

À vrai dire, elles comptaient n’avoir que l’embarras du choix et préparaient, souriantes, leurs fraîches toilettes couleur de ciel.

Le monde est promis à l’indestructible foi.

Souhaitez que celle-ci, presque sublime