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Aux premiers mots qu’elle prononça touchant son mariage avec Jean, son bonheur qu’obscurcissait seul la pensée des embarras pécuniaires auxquels les siens resteraient livrés, de l’obligation inéluctable, mais si cruelle pour son père, de vendre la demeure ancestrale afin d’avoir de quoi subsister sous un plus humble toit, M. d’Aureilhan lui ouvrit les bras.

— Ne t’occupe pas de moi, mon enfant ! Je vivrais joyeux dans une mansarde pourvu que tu fusses heureuse avec le mari de ton cœur !…

Les paupières gonflées de larmes qu’elle ne retenait pas, Huguette, ineffablement remuée, tomba sur sa poitrine :

— Ah ! père ! père !…

Il caressait doucement ses cheveux :

— Oui, sois heureuse, ma fille aimée… Je le demande à Dieu de toute mon âme, et Elle te bénit comme moi celle qui nous regarde, sans doute, de là-haut…

Ils s’embrassèrent longuement, avec l’émotion inexprimable des plus pures minutes de la vie.

Puis, ils se turent un instant, autant pour condenser en eux la béatitude de ce souvenir, que par respect instinctif, répugnance à se reprendre tout de suite aux intérêts mesquins et aux soucis vulgaires.

Ce fut M. d’Aureilhan qui reprit en soupirant :

— Quant à vendre le château, c’était une hypothèse que je n’envisageais jusqu’ici que comme une déplorable extrémité… Aujourd’hui, je dois constater que c’est le parti le plus sage, le seul parti sage même…

— Comment cela ? s’informa, Huguette étonnée, mais délivrée d’un grand poids.

M. d’Aureilhan s’expliqua. Le matin, il avait reçu de M. Gontaud, mis au courant par Jean Quéroy, une proposition constituant la plus avantageuse solution au problème qui le préoccupait depuis longtemps…

Désireux d’agrandir ses usines dont le voisinage arrêtait le développement, le riche industriel offrait d’acheter le domaine tout entier, et le prix qu’il annonçait l’intention de payer comptant était sensiblement supérieur à celui qu’eût produit la vente aux enchères ou le morcellement amiable aux habitants du pays. De plus, et pour triompher de certaines résistances faciles à deviner, il cédait à ses amis, comme complément de la transaction, une élégante villa dont le hasard des affaires venait de le rendre propriétaire dans la plaine de Tarbes, et dont il n’avait cure.

Ainsi, les créanciers désintéressés grâce au surplus des capitaux fourni par cette négociation inespérée, et Huguette renonçant filialement à la jouissance de ses revenus personnels, l’existence serait aisée, douce même dans ce nouveau et confortable gîte.

C’eût été folie de refuser.

M. d’Aureilhan et sa fille en furent également d’avis, et s’arrêtèrent, de façon irrévocable, à la détermination libératrice.

Comme il était à prévoir, Stéphanie, en l’apprenant, jeta les hauts cris.

D’abord, elle ne voulut rien entendre, et traitant Huguette d’enfant dénaturée, elle déclara tout net qu’elle ne prêterait jamais les mains à un mariage ridicule et préférait se jeter dans l’Adour plutôt que d’habiter un galetas.

Mais, en femme intelligente qu’elle était, lorsqu’elle voulait bien ne pas se laisser aveugler par son violent orgueil, elle dut peu à peu se rendre à l’évidence.

Huguette n’étant pas sa fille, elle n’avait pas à donner un consentement qu’on ne lui demandait pas, et l’influence de M. Gontaud contribua puissamment à la réconcilier avec l’idée d’une union beaucoup