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chanter leur joie dans un silence d’extase, une harmonie mélancolique se répandit sur la campagne.

— L’Angelus ! s’exclama Huguette, s’arrachant à son rêve. Il faut nous séparer, mon ami.

Ils sourirent encore. Ne savaient-ils pas que bientôt ils ne se sépareraient plus ?

Ils sortirent, se tenant par la main, d’une charmante et enfantine étreinte.

D’autres cloches répondaient à la première ; de tous côtés, près et loin, dans l’illimité de l’horizon, des notes mélodieuses s’envolaient, argentines ou graves, mêlant à la vibration de l’air une poésie de songe.

Ces cloches, c’était la voix des temps passés, des espérances éternelles, de tout ce qui avait vécu et de tout ce qui vivrait.

Un même recueillement pénétra les fiancés.

C’était maintenant leur fête à eux qui se célébrait là-haut.

Il ne pleuvait plus ; encore perlés de gouttelettes brillantes, les feuillages revêtaient une délicieuse fraîcheur verte ; un gai renouveau éclatait par toute la terre rajeunie et, du geste, Huguette montra à Jean un magnifique arc-en-ciel qui traçait dans l’infini comme un merveilleux chemin de bonheur.

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Si Huguette d’Aureilhan avait été une héroïne de roman selon l’ancienne formule, elle aurait pas manqué de s’amputer le cœur et de dire théâtralement adieu à celui qu’elle aimait, pour épouser contre son gré l’homme riche qui eût dispensé aux siens et à elle-même une existence prospère, accomplissant ainsi un sacrifice sans véritable grandeur, car il importait le dédommagement, — toujours amoindrissant, — de l’argent.

Mais Huguette n’était pas une héroïne de roman.

C’était une créature d’humanité stricte, une de ces femmes d’aujourd’hui, courageuses autant que tendres, qui entendent faire rendre à la vie tout ce que celle-ci peut donner, et veulent conquérir leur lot de bonheur sans abdiquer leur raison et leur fierté.

Affranchie de toute idée conventionnelle, Huguette ne se payait point de mots. Elle savait que la plus héroïque abnégation devient un marché dès qu’une somme quelconque la reconnaît, qu’un profit, si mince soit-il en découle, et c’est pourquoi, après s’être promise à Jean Quéroy, elle n’eut pas un trouble de conscience, pas l’ombre d’un doute ni d’un regret.

Avec la radieuse certitude de son amour, une grande clarté l’avait inondée ; désormais, elle marchait droite et souriante vers sa destinée.

Le surlendemain, aussitôt son père de retour, elle eut avec lui un long entretien dont elle avait arrêté les grandes lignes au cours de sa causerie avec Jean, tandis que celui-ci la reconduisait au château, après la surprise suave de leurs fiançailles.

Malgré sa sérénité présente, sérénité si complète et si profonde qu’il semblait que rien ne pût plus l’entamer, elle n’abordait pas sans appréhension secrète un sujet de conversation délicat et pénible entre tous.

Quoiqu’elle fût résolue à abandonner à M. d’Aureilhan tout ce qu’elle possédait du chef de sa mère, n’allait-elle pas paraître exiger des comptes et incriminer la faiblesse de la gestion paternelle ?

Cette tâche ardue lui fut singulièrement facilitée par la générosité coutumière d’Hugues d’Aureilhan et par celle, plus méritoire encore de M. Gontaud.