Page:Junka - Mademoiselle Nouveau Jeu, paru dans la Revue populaire, Montréal, janvier 1919.pdf/11

Cette page a été validée par deux contributeurs.

autour d’elle une atmosphère d’intimité et d’entrain sans apprêt.

Elle ne réalisait pas, comme on l’avait obscurément appréhendé, le type prétentieux et banal de la jeune personne qui a été élevé loin des siens dans une grande ville d’où elle rapporte, avec une insupportable manie de critique, l’agaçante conviction d’être d’une autre essence.

Bien moins encore, apparaissait-elle la révoltée assombrie et impertinente que Mme d’Aureilhan attendait ; elle était simplement l’enfant qui revient prendre sa place au foyer, disposée à aimer et à se faire aimer.

— Ah ! dit Huguette gaîment, quand elle eut embrassé ou salué tout le monde, ça creuse, les voyages ! Je meurs de faim !

Elle enleva son chapeau, et sa fine tête se nimba de lumière, éblouissant les yeux dans le jour éclatant par la merveilleuse nuance de la chevelure, dont le blond très rare empruntait d’introuvables tons de vieux cuivre rose.

Mlle d’Aureilhan s’assit à la droite de son père, et se mit à dévorer, amusante d’un bel appétit de jeunesse.

Quand on regagna le salon où elle aida sa belle-mère à servir le café, tous les cœurs étaient conquis, sauf celui, fort récalcitrant par nature, de Mme Léonie Pranzac.

Vers la fin de l’après-midi, un peu avant de quitter le château, Mme de Lavardens se haussa jusqu’à l’oreille de sa sœur :

— Eh bien ! ma chère, qu’en dis-tu ? Cette petite est d’une douceur charmante et la réalisation de nos desseins s’annonce des plus aisées…

Mme d’Aureilhan hocha la tête.

Elle ne savait que penser.

Le beau René de Lavardens nageait dans une sérénité pareille.

Très infatué de lui-même, ainsi que le demeurent toute leur vie ceux qui ont été durant l’enfance trop flattés par d’aveugles tendresses, il avait pris l’amabilité qu’Huguette venait de déployer à son égard pendant cette journée pour une manifestation inconsciente ou voulue de l’impression intense qu’il produisait sur elle.

Et il se retira enchanté, frisant sa moustache d’un geste vainqueur qui soulignait la promesse à prompte échéance secrètement formulée en sa vanité intime :

— Je veux la rendre folle de moi !…


II


Mme d’Aureilhan et sa sœur se trompaient.

De même, René de Lavardens n’allait pas tarder à constater à ses dépens qu’il s’était grossièrement leurré.

Huguette n’était pas une personne dont on pût facilement disposer.

Pas davantage, elle n’était une de ces jeunes filles niaisement romanesques, de qui la tête travaille sans cesse dans le vide et tourne avec une déplorable facilité.

Élevée dans un milieu moderne et artiste, largement ouvert à toutes les idées, elle y avait acquis la conscience de sa personnalité et la libre exercice de son énergie.

Sous sa gaîté, elle était la raison même et sa douceur attrayante, traduction spontanée d’une nature exceptionnellement bonne, cachait une singulière fermeté.

Malgré sa jeunesse, — vingt ans à peine, — elle avait déjà eu l’occasion d’affirmer ses qualités de caractère et d’âme.

C’est dans son court passé, comme en celui de ses proches, qu’il convient de chercher l’origine du drame intime, prêt à se dérouler entre les personnages que l’on connaît.