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soin, qu’elle ne pourrait plus vivre loin de sa sonorité profonde qui lui remuait l’âme.

Elle avait bondi sur ses pieds. Machinalement elle tira son mouchoir et essuya les larmes qui couvraient son visage.

Il la regardait toujours. Très bas, il reprit :

— Vous pleurez, Huguette ?

Elle se redressa, farouche :

— Que vous importe ?

Il la contempla douloureusement :

— Que m’importe ?… Oh ! Huguette ! Huguette ! Vous ne savez donc pas ? Vous n’avez donc rien compris ?

— Quoi ? dit-elle du même accent qu’elle voulait dur et hautain, mais qui s’amollissait d’une étrange douceur montant en elle.

À cette attitude, le prompt découragement des frémissantes tendresses s’emparait de Jean.

Il secoua la tête :

— Hélas ! ne parlerai-je pas en vain ?… Si vous n’êtes plus la même… si votre cœur est fermé ?…

Une protestation passionnée s’échappa des lèvres d’Huguette :

— Moi ? Ah ! Dieu !…

Elle n’eut pas la force d’en dire davantage ; cependant, il sut que cette créature si rare lui appartenait toujours.

Il se rapprocha, une flamme radieuse aux prunelles, et lui saisit les mains :

— Pourtant, Huguette, vous partiez ?…

Sans prendre garde à ce passé, elle baissa le front et sourit, tandis que des larmes encore scintillaient dans ses yeux de saphir.

Puis, d’un accent qui était à peine un souffle, elle avoua :

— J’étais trop malheureuse… Je croyais que vous ne m’aimiez plus…

La plainte avait une douceur divine.

À son tour, Jean senti ses paupières se mouiller.

Il s’inclina sur les petites mains qui palpitaient dans les siennes :

— Chérie !… Je vais vous dire pourquoi. Mais avant, promettez-moi que vous m’accorderez toute la vie pour me faire pardonner ?

Elle ne répondit pas. C’était inutile. L’aube de cette vie nouvelle resplendissait dans ses yeux incomparables, sur son visage auréolé d’une joie presque surhumaine et d’une inexprimable, d’une séraphique beauté.

Ébloui, Jean se pencha tout à fait, signant de ses lèvres le pacte d’amour sur ces doigts menus qui se donnaient.

Assis sur la mousse, ils causaient, et cette causerie, à ce moment, après cette prestigieuse minute, était une de ces choses précieuses et trop parfaites que l’on ne goûte plus ensuite dans l’existence humaine.

Ils échangeaient d’intimes, d’ineffables impressions d’âme, et toutes les équivoques, tous les malentendus disparaissaient, s’évanouissaient, emportés par un vent d’espérance. Tout s’abolissait, jusqu’au souvenir de la douleur, devant la vision magique du proche avenir où leurs deux cœurs ne seraient plus qu’un.

Jean disait sa souffrance lors de la demande en mariage de M. Gontaud, l’obligation torturante de s’effacer pour laisser le champ libre à l’homme qui était son bienfaiteur et son ami ; Huguette rappelait ses doutes, son muet désespoir d’abandon.

Ils se regardaient ravis de s’être retrouvés pour ne plus se quitter, et ce regard rachetait les larmes, les craintes, les longues tristesses qui préparent la voie du destin.

Et comme ils se taisaient enfin, écoutant