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bres murailles : Minotaure de pierre ayant englouti une fortune et auquel elle laissait le meilleur d’elle-même, sa jeune foi au bonheur, une fraîche et pure espérance qui ne renaîtrait jamais.

Elle pressa le pas.

Mais sa démarche s’alourdissait ; elle suffoquait, ne respirant qu’à peine dans l’atmosphère étouffante…

Le temps lumineux au début de l’après-midi, s’était chargé vers le soir.

Un orage planait ; il y avait de l’électricité dans l’air, de lourds nuages, noirs comme des masses de plomb se mouvaient lentement à travers les plaines livides du ciel.

Huguette leva la tête et considéra avec inquiétude ce sinistre horizon.

Arriverait-elle à la gare avant la tempête ? La réponse de la mystérieuse puissance éparse ne se fit point attendre.

Un aveuglant éclair sillonna l’espace de son zig-zag de foudre, et un coup de tonnerre retenti, semblant ébranler la terre jusqu’en ses fondements.

Une épouvante saisit Huguette, car elle avait appris à les connaître, ces ouragans de là-bas, qui passent comme des fléaux destructeurs, d’effroyables semeurs de ruine et de mort.

Autour d’elle, la campagne était déserte ; pas un laboureur aux champs, — chacun avait fui la catastrophe possible, — pas une habitation proche.

Sa mémoire aux abois invoquait désespérément un refuge.

Une inspiration subite lui rappela qu’une grotte existait non loin de là, une sorte de cavité naturelle pratiquée dans les terrains rocheux entre lesquels avait été creusée la route montueuse.

Elle y courut et l’atteignit au moment où une pluie torrentielle, mélangée de grêle, commençait à tomber.

L’endroit était charmant, fait à souhait pour le rêve, pour le repos dans la promenade, au milieu de ce pays accidenté.

Une mousse fine autant que du velours vert tapissait le sol ; toutes les étranges et frêles plantes qui poussent dans les lieux humides étalaient sur les parois leurs broderies capricieuses ; un rideau de tiges retombantes voilait à demi l’entrée.

Mais Huguette n’était pas capable de percevoir l’apaisement des choses, l’amicale invitation de la nature à oublier les adversités passagères pour se retremper en elle, qui ne passe point.

Elle se laissa glisser sur une grosse pierre que quelque piéton avisé avait roulée jusque-là, et appuya contre le roc sa tête pesante.

Soit influence de la température déprimante, soit que la prodigieuse tension de son être arrivât au point extrême où succombait les dernières résistances nerveuses, il semblait que toute force l’eût abandonnée.

Elle ferma les yeux, affreusement brisée dans son corps et dans son âme, et des larmes coulèrent de ses paupières closes, ruisselèrent, intarissables le long de son visage pâle, comme la pluie diluvienne qui tombait au dehors.

Et sa désolation coulait avec ses larmes ; insensiblement, sans même qu’elle le soupçonnât, une bienfaisante détente s’opérait en elle.

Peu à peu, à force de pleurer, une sorte d’anéantissement la gagna.

Elle restait là, immobile, trouvant une douceur à ne pas bouger, à ne pas penser, à se sentir séparée du monde par ces torrents d’eau qu’elle entendait crépiter avec un bruit de balles.

Dans cet état de torpeur physique et morale, elle ne s’apercevait pas qu’elle n’était plus seule… qu’un homme adossé en