Page:Junka - Mademoiselle Nouveau Jeu, paru dans la Revue populaire, Montréal, janvier 1919.pdf/104

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vous n’avez pas encore choisi ?… Que me reprochez-vous ? Sans me flatter, je représente un parti avantageux… Vous ne trouverez pas mieux… Mon âge est en rapport avec le vôtre… on ne me juge pas laid… j’ai un nom, de la fortune… Que vous faut-il de plus ?

D’abord, Huguette avait pâli de contrariété. Cette scène, en se prolongeant, l’agaçait prodigieusement, et l’obstination exaspérante de René surexcitait de façon aiguë l’antipathie qu’elle avait toujours éprouvée pour lui.

Mais, aux derniers mots, elle sourit avec un indicible dédain :

— Voilà des avantages dont je me soucie peu, par exemple ! Le nom, la fortune, qu’est-ce cela à côté des qualités morales que je veux au compagnon de ma vie ? Le nom n’est rien, à mon sens, s’il n’est rehaussé par le prestige de celui qui le porte. Quant à la fortune, je n’en ai pas besoin. Un peu de valeur personnelle ferait autrement mon affaire !

René était livide, intimement terrassé de voir prisé si bas. En même temps, il ouvrait de grands yeux, interloqué de ces idées pour lui anormales et de la négation hautaine opposée à des arguments qu’il croyait irréfutables.

Il en restait littéralement sans parole.

Ne sachant que dire, il balbutia :

— Ce sont là des théories.

Un nuage rose colorait les joues d’Huguette, légèrement confuse d’avoir trahi sa véritable pensée.

Après tout, sans doute cela valait-il mieux. Il était trop tard pour reculer ; le grelot attaché, il fallait en profiter et « liquider » au plus tôt la situation.

Elle haussa les épaules :

— Ce ne sont pas des théories : ce sont les principes sur lesquels j’ai édifié toute mon existence. Mais vous êtes incapable de concevoir ces choses… Puisque vous désirez des explications, venons-en donc à ce que vous pouvez comprendre…

Il jeta, piqué :

— Vous faites bien peu d’honneur à mon intelligence !

Huguette eut un mouvement excédé :

— Je vous en prie, René, ne nous attardons pas à de mesquines susceptibilités ! Au point où nous en sommes, il n’y a plus de possible qu’une entière franchise. Vous me demandiez tout à l’heure ce que j’ai à vous reprocher… Sans détails superflus, voici la vérité : Je vous reproche des défauts de caractère qui me rendraient la vie commune insupportable, odieuse même… J’entends non seulement aimer, mais encore estimer celui qui deviendra mon plus cher ami. D’ailleurs l’estime est pour moi inséparable de amour digne de ce nom…

— Eh bien ? fit-il frémissant.

— Eh bien je ne vous esti… Je ne pourrais pas avoir confiance en vous, René. Ne m’avez-vous pas fourni cent occasions de douter de votre loyauté ? Avant-hier encore, n’est-ce pas grâce à un mensonge, à une petite rouerie basse et indélicate que vous vous êtes arrangé de façon à revenir avec moi ?

Il hésita à répondre, partagé entre la mortification d’être démasqué, et le besoin violent de se venger par des mots méchants, par l’aveu cynique de sa conduite, en prétendant éconduit qui n’a plus rien à perdre.

Il se rangea à ce dernier parti.

— Je ne fais aucune difficulté de le reconnaître, dit-il d’un ton léger. Je savais bien que vous finiriez par l’apprendre et ce n’était là, en somme, qu’un expédient sans importance destiné à me procurer le tête-à-tête que je souhaitais depuis longtemps en vain. J’ai même fait beaucoup mieux que cela…