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correction, tout à l’heure. Apprenez donc que ma tante sait que je suis ici et pour quelle raison. Maintenant, je vous écoute.

Il se renversa au fond du canapé, l’air sombre et obstiné.

À la contraction de son visage, il était facile de voir qu’il souffrait de façon cruelle. Cette minute rachetait chèrement ce qu’il avait fait souffrir à d’autres cœurs trop confiants…

— Soit, articula Huguette avec lassitude, finissons-en. Vous l’aurez voulu… Aussi bien, dans la question qui nous occupe, il n’y a qu’un mot qui compte : Aimer ou ne pas aimer. Je ne vous aime pas, René.

Il se redressa, comme mordu en pleine chair vive :

— C’est donc que vous en aimez un autre ?

Il fallait beaucoup moins que cette impertinente question pour rendre Huguette à son vrai caractère.

— Cela ne regarde que moi.

La phrase tomba, impressionnante de réserve glacée, et René de Lavardens recula parmi les coussins, ainsi qu’il l’eût fait en face d’une barrière soudainement élevée devant lui.

Il laissa tomber sa tête entre ses mains.

Un tumultueux chagrin l’accablait. Il était prêt à pleurer, misérable infiniment.

Au milieu de ses sensations d’homme, finissait toujours par surnager l’enfant gâté qu’il avait été et qu’il restait en dépit de tout, l’être mentalement débile qui se désespère devant l’impossible et ne comprend point que ce qu’il veut ne puisse pas s’accomplir par cela seul qu’il le veut.

Il bégaya :

— Pardonnez-moi, je ne sais plus ce que je dis… Je suis si malheureux !… Ne soyez pas dure… Vous n’avez pas de comptes à me rendre… Mais ne m’abandonnez pas dans l’incertitude où je suis… Ce serait trop affreux… Si vous ne m’aimez pas, apprenez-moi au moins que vous n’êtes pas engagé à un autre ?… Que vous ne pensez pas vous marier encore ?… Je ne pourrais pas résister à pareille douleur… Un peu plus tard, peut-être, j’aurai la force du sacrifice…

Il était tellement désemparé, tellement suppliant et éperdu qu’Huguette en eut pitié.

Le souvenir du naufrage de ses espérances l’oppressait d’un invincible retour sur elle-même et sa propre détresse de cœur.

D’une voix que la concentration intérieure rendait sourde et profonde, elle prononça :

— S’il ne faut que cela pour atténuer votre déception, soyez en paix… Je ne pense pas au mariage et n’y penserai pas de longtemps…

Il releva son front appesanti. Un éclair jaillit de ses prunelles de pais.

— Mais alors, j’ai le droit d’espérer ?

C’était Huguette, à présent, qui se mordait les lèvres.

Avec la duplicité inconsciente de sa nature, René lui avait tendu un piège dans lequel elle était tombée.

Ravi d’être fixé sur ce qui lui importait par-dessus tout de savoir, il insistait, en cerveau têtu et borné qui revient toujours à son idée :

— Puisque vous êtes libre, Huguette, j’attendrai, je…

Elle l’interrompit, à bout de patience :

— Une dernière fois, René, c’est inutile ! En voilà assez… Je refuse : que ce soit bien entendu et n’y revenez plus !

Les doigts du jeune homme se crispèrent sur les bras du canapé.

— Enfin, je puis bien exiger quelques explications ? Je ne suis pas de ceux qu’on repousse avec cette désinvolture. Pourquoi pas moi autant qu’un autre, puisque