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mes qu’il estimait dignes autant qu’habiles, il recommença d’un timbre enjoué :

— Êtes-vous assez indifférente, Huguette ! Vous ne me demandez même pas des nouvelles de mon pauvre teuf-teuf, que J’ai été forcé de laisser avant-hier sous la garde de notre hôtesse, tandis que vous reveniez majestueusement sur l’Aliboron de celle-ci ?…

— D’abord, je n’ai pas à m’inquiéter de votre automobile, puisque vous l’aviez laissée à la surveillance de la brave paysanne qui m’a si obligeamment prêté son âne, répliqua Mlle d’Aureilhan de plus en plus agressive, car elle sentait que, sous ces paroles anodines, son rusé adversaire avait gagné le terrain où il entendait maintenir l’entretien. Ensuite, les chemins du pays sont sûrs et une voiture automobile n’est pas une épingle que le premier passant venu puisse mettre dans sa poche, surtout quand la dite automobile est en panne et à vingt-cinq pas d’une maison habitée. Votre observation ne tient donc pas debout… Est-ce à l’intention de traiter ce sujet palpitant que je dois attribuer votre visite ?

Comprenant que tout faux-fuyant était superflu, René de Lavardens se fit sérieux et pénétré.

— Non, Huguette, dit-il sans relever le persiflage, ce n’est pas ce sujet-là qui m’amène… Ce n’était qu’un prétexte… une entrée en matière si vous aimez mieux… Je rappelle l’incident de l’autre soir parce que, s’il vous a été désagréable, il m’a péniblement déçu… Je m’explique ! ajouta-t-il sur un mouvement de la jeune fille, et mon explication sera courte autant que franche… En deux mots, voici la vérité : J’espérais que notre retour en tête-à-tête me fournirait l’occasion de vous exprimer ce dont j’ai le cœur plein depuis longtemps… Je vous aime, Huguette, et je ne suis venu que pour vous le dire… pour vous demander, humblement et tendrement, de devenir ma femme…

Il s’arrêta, la voix cassée par l’excès de son émotion intime, car ce grand vainqueur s’était brûlé, on le sait, à la flamme qu’il prétendait allumer, et c’était la première fois de sa vie qu’il ne jouait pas la comédie de la tendresse.

Telle est la force communicative des sentiments sincères, qu’Huguette se trouva prise au dépourvu.

Toutes les paroles de dédain et de sévérité s’envolèrent de ses lèvres. Aucun des refus hautains qu’elle préparait mentalement la minute d’avant ne revenait à son esprit ; elle se borna, sincère elle aussi, à murmurer d’un organe bas et peiné :

— Mon pauvre René, je suis bien touchée… Je regrette vraiment… Je ne peux pas vous épouser…

La pâleur ambrée du jeune homme tourna au verdâtre, comme toujours, lorsqu’il était violemment bouleversé.

D’un accent que de l’âcreté traversait, il demanda seulement :

— Pourquoi ?

Huguette eut un geste qui éludait :

— Pourquoi, pourquoi ? Ce serait long et difficile à définir… Il faut tant de choses réunies pour que deux êtres se conviennent et décident de passer ensemble toute leur vie… Je craindrais de vous froisser… Contentez-vous de savoir que ce vœu est irréalisable et n’y pensez plus.

— Voilà qui est bientôt dit ! fit-il du même accent net et amer indiquant l’homme résolu à brûler ses vaisseaux. On voit que vous en parlez à votre aise. Eh bien ! non, je ne me contente pas de cette fin de non-recevoir passablement obscure !… Définissez sans crainte. Vous ne me froisserez point et ne pécherez pas contre les sacro-saintes convenances. Vous parliez d’in-