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ment, c’est marier la faim avec la soif, comme disent nos paysans… Enfin, si le régime de l’amour et de l’eau claire leur convient, à ces enfants…

— Ça les regarde ! acheva Françoise non sans quelque sécheresse.

Mme Pranzac se leva.

— Un vent de mariage souffle à travers notre famille, remarqua-t-elle de sa voix mordante. Aussi, j’espère bien, ma chère Huguette, que nous ne tarderons pas à apprendre le tien avec René de Lavardens.

Mlle d’Aureilhan se récria :

— Par exemple ! Je n’y ai jamais songé et je ne vois pas ce qui autoriserait à supposer…

L’expression perfidement ironique de Mme Pranzac s’accentua :

— Dame ! ma chère enfant, après ce qui s’est passé, tu ne peux guère faire autrement…

Satisfaite d’avoir envoyé cette flèche du Parthe à la jeune parente dont, au fond, elle jalousait férocement la grâce, la distinction et la supériorité en toutes choses, elle se dirigeait vers la porte, parlant abondamment, afin d’empêcher Huguette de placer un mot.

— Je vous reconduis, si vous voulez, en allant à mes visites, finit-elle par proposer aux Petites Bleues. Cela vous épargnera la peine de la course à pied.

Heureuses de se dérober à une situation embarrassante, les deux sœurs acceptèrent et prirent congé en même temps que Mme Pranzac.

Ce fut seulement quand cette dernière remonta dans son tilbury, qu’Huguette put prononcer la phrase qu’elle tenait à faire entendre.

— Je vous remercie des précieuses indications que vous avez cru devoir me fournir, dit-elle à sa cousine avec cette dignité qui était en elle et imposait le respect. Mais ne soyez pas étonnée si je n’en profite point, et annoncez à ceux qui escompteront justement la sûreté de vos informations qu’en aucun cas je n’épouserai M. René de Lavardens. Peu importe comment on appréciera cette décision. Il me suffit d’être logique avec moi-même, et je ne suis pas de ces esprits timorés qui ont besoin de l’approbation d’autrui.

Malgré son solide aplomb, Léonie demeura une seconde déconcertée.

Elle s’était promis de jouir du trouble d’Huguette, de savourer l’intolérable gêne que causerait certainement à la fierté ombrageuse de la jeune fille ses insinuations envenimées, et elle se trouvait en face d’une âme impassible, repoussant les éclaboussures avec un mépris tranquille.

Le beau rôle n’était pas du côté de Mme Pranzac ; elle le sentait sans vouloir le reconnaître et se hâta de clore l’entretien.

— Bien, bien ! conclut-elle d’un air de feinte amabilité, tu es meilleur juge que qui que ce soit en une question te concernant aussi étroitement. Tu agiras pour le mieux, j’en suis sûre…

Et, avec une inquiétude affectueuse, elle ajouta :

— Tu ne m’en veux pas, j’espère !… Voila que tu me dis « vous », maintenant !…

Huguette ne répliqua point, et sans un regard pour sa cousine qui, de la voiture, multipliait ses signes d’adieu, elle regagna le salon.

De nouveau, elle était seule dans la pénombre, reposante, lui semblait-il, à son cerveau enfiévré.

Jamais encore, elle ne s’était sentie à ce point agitée et vibrante.

Elle souffrait, plus réellement blessée qu’elle ne consentait à se l’avouer, aux places sensibles de sa délicatesse.

Elle avait eu la fière énergie d’une attitude sereine, de la hauteur naturelle à la